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Académisme et Paradigme

Publié à partir du 25 avril 2013 par Patrick ROUSSEL
Sans le faire exprès j’avais choisi cette illustration pour ce billet. Je l’ai retrouvée sur le wiki paradigme dont j’ai reproduit plus bas la définition d’entrée…

Académisme et paradigme,

sous ce titre se cache une question que je me pose depuis longtemps :

Est-il possible de changer de paradigme dans le cadre d’une science académique ?

Mais, une seconde lui emboîte aussitôt le pas : peut-on être juge et partie pour répondre à cette première question ?

Aujourd’hui j’ai décidé de les poser en grand et d’argumenter un peu.

Notre science prend de l’âge sans prendre de ride, elle évolue sans cesse avec les découvertes d’une part, et leur compréhension dans certaines limites d’autre part. La science fondamentale est là, en principe, pour poser des questions, fouiller, investiguer, soulever des intérêts vis à vis de « choses », de phénomènes qui n’avaient jusque-là pas été (suffisamment) considérés.

Et on se pose maintenant la question d’un changement de paradigme, c’est-à-dire de devenir capable de considérer les choses, le monde autrement.

Le wiki de Paradigme dit « Un paradigme est une représentation du monde, une manière de voir les choses, un modèle cohérent de vision du monde qui repose sur une base définie (matrice disciplinaire, modèle théorique ou courant de pensée). C’est une forme de rail de la pensée dont les lois ne doivent pas être confondues avec celles d’un autre paradigme et qui, le cas échéant, peuvent aussi faire obstacle à l’introduction de nouvelles solutions mieux adaptées. »

Le CNRTL  (Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales) dit plus structurellement parlant :

  • A.  GRAMMAIRE : Ensemble des formes que peut prendre un élément (généralement un mot).
  • B. − LINGUISTIQUE. Ensemble des unités d’un certain type apparaissant dans un même contexte et qui sont de ce fait dans un rapport d’opposition, de substituabilité (p.oppos. à syntagme).
  • C. − ÉPISTÉMOLOGIE. Conception théorique dominante ayant cours à une certaine époque dans une communauté scientifique donnée, qui fonde les types d’explication envisageables, et les types de faits à découvrir dans une science donnée.

On pourrait croire que seul l’alinéa c.) est censé concerner la science mais il faut bien lire les deux autres propositions :

  • le a) nous parle d’un ensemble de formes ;
  • le b) d’un ensemble des unités d’un certain type (donc de formes).

Mises en commun ces définitions nous proposent Des ensembles en a) et b) qui s’opposent à une conception dominante et de surcroît théorique en c)

Le flou lexical rejoint donc le flou wikipédien (néologisme)… Mais si la conception dominante de l’un s’accorde bien avec le rail de pensée de l’autre… on peut se poser la question : est-ce le bon chemin ?

Car en fait, que veut-on avec un changement de paradigme ? C’est sans doute une question encore préalable aux deux premières…

Ceux qui suivent ce blog le savent, je n’aime pas jouer avec les arguments des autres comme je viens de le faire, et comme en sont remplis des piles de bouquins qui abreuvent les librairies ; aussi vous me permettrez certainement de me situer à mon propre point de vue pour reprendre en sens inverse mes trois questions…

1) Pourquoi évoquer un changement de paradigme [nécessaire ?] ?

Il y a me semble-t-il deux constats qui nous imposent de voir le monde autrement :

  • a) Les changements de cycles que notre production, d’une certaine manière fruits de notre science, induit sur la nature, avec ici ce qu’on nomme réchauffement, et là ce qu’on mentionne comme changement climatique [et que j’évoque davantage sous la forme d’ornière climatique].
  • b) Une science qui, en entrant dans le sous-matériel, l’intra-matériel, devient de plus en plus théorique et s’éloigne de l’expérience simple en masquant les phénomènes par de monstrueuses machines chargées de remplacer nos incapacités perceptives analogiques (emploi du microscope à effet tunnel plus que du microscope optique pour comprendre la nature, pourtant notre lieu de vie).

Je renvoie ici chacun à sa propre méditation en proposant deux nouvelles questions (désolé) :

1) Ne s’appuie-t-on pas sur une certaine prétention de notre part d’envisager l’avenir sous une forme qui conduit à un manque de confiance en la nature ? [1]

2) Comment peut-on croire qu’on se rapproche des fondements de la nature en dépassant excessivement les limites de notre perception via les simples outils analogiques ? Ne prenons-nous  alors pas le risque d’en faire un château de cartes de plus en plus abstraites ? (autrement dit : jusqu’où une physique comme la mécanique quantique nous rapproche-t-elle du Réel, c’est-à-dire de ce que nous pouvons vivre et comprendre ?)

On a atteint une certaine limite de la science, science qui a besoin de ressources nouvelles pour pouvoir avancer, c’est certain. Cela peut justifier l’intention d’une volonté de changement de paradigme.

2) Peut-on être juge et partie pour justifier un changement de paradigme ?

La réponse à cette question s’inscrit à travers deux mots : transversalité et science citoyenne.

  • La transversalité va faire se croiser des domaines jusque-là étrangers les uns aux autres, mais alors qui fait la synthèse ? Et comment l’organise-t-on ?
  • La citoyenneté s’appuyant sur du vécu, des valeurs, un attachement, du sentimentalisme, risque de ne pas avoir l’objectivité nécessaire à la juste réflexion sur les problématiques, mais elle est la première concernée, et si les choses lui sont présentées (plus qu’expliquées) à partir de différents points de vue, elle peut cibler des directions « humaines » de développement sinon trouver des solutions scientifiques à des besoins ou des nécessités.[2]

>  Derrière transversalité il y a pluridisciplinarité, esprit de synthèse relationnelle, découverte des interactions.

>  Derrière citoyenneté il y a l’avis de tous les véritables acteurs et profiteurs : les gens du peuple, les populations, c’est-à-dire les êtres qui vivent ensemble au sein d’un même espace (bien sûr, il faudrait intégrer les autres règnes, mais étant non pensants nous leur devons bien de fidèles représentants).

À bien regarder derrière ces deux mots on trouve les idées fondamentales de l’écologie, non au sens politique, mais au sens épistémologique, c’est-à-dire une approche des interactions humains – environnement et humains humains (ce qui, une fois dépassé l’aspect fondamental, est sensé orienter politique, production et économie…) [3].

3) Est-il possible de changer de paradigme en restant dans l’académisme ?

L’académisme de la science actuelle peut penser qu’on est à l’aube d’un paradigme nouveau, c’est tout à fait louable, et cela montre que nos têtes pensantes et savantes ont leur part d’humanité. (Voir Jean Staune : Notre existence a-t-elle un sens ? et aussi ici pour ceux qui sont pressés, ou encore si on a moyennement le temps cette vidéo concernant la fusion dite froide.)

Mais ce changement doit-il être induit, lancé, donc dirigé, par la science (galiléenne) qui a plus ou moins directement conduit à cette pensée : ne doit-on pas changer de paradigme ?

Il ne s’agit pas ici de dire que la question doit être détachée des scientifiques mais bien davantage qu’elle doit, certainement, appartenir à ce qui est périphérique, satellitaire à l’académisme ‘orthodoxe’, et cela même (et surtout) pour ouvrir de nouvelles voies.

Un véritable changement de regard ne peut s’obtenir que dans un cadre non formaté, car il faut pouvoir être ouvert pour accueillir ce qui vient d’incongru, d’anodin, de singulier et se laisser interpeller par des hypothèses qui ne soient pas préjugées, ou qui ne dépendent pas du formatage de nos instruments et de la confiance qu’on place en eux.

On trouvera ainsi dans le monde commun (celui qui s’offre à tous les hommes, pas aux seuls détenteurs de la connaissance ou de l’économie), des idées nouvelles, des voies nouvelles, des idées ouvertes, des voies ouvertes.

Pour changer de paradigme, ne fait-il pas rassembler des formes scientifiques et citoyennes, abandonner les formes dominantes, mettre à plat toutes les interrogations que le monde nous soumet parce qu’il a été dérangé dans sa calme routine – parfois hoqueteuse tout de même – ?

L’anthropocène devra accuser non de nos dégâts sur la planète mais de la conscience et des actes que nous aurons déployés pour les corriger.

_______________________

Bon, je sais que j’ai  prêché un peu pour ma paroisse, que je suis juge et partie ; mais je sais aussi que je suis concerné en tant que citoyen par les décisions politiques d’orientation écologique [d’autant que je suis conseiller en écologie, écologue bien avant d’être, peut-être, écologiste… (ah, ces mots en -iste !!!)].

La transition énergétique dont on parle tant doit s’élargir pour devenir une transition tout court, une impulsion de métamorphose

Mais alors, ultime question :  vers quel paradigme devrions-nous glisser ?

Je crois que déjà, il faut se dire qu’à l’heure où nous misons tout sur le calcul, il est la « chose » dont il faut se détacher pour s’ouvrir à plus de confiance en notre sensibilité, à nos perceptions, pour croire davantage en nous-mêmes, pour retrouver un contact réel, c’est-à-dire qualitatif avec la nature, extérieure autant qu’humaine.

Le calcul doit (re)devenir un accessoire, pas une force de preuve, pas non plus une perspective (« à l’horizon 2030, … …« ). L’analyse doit laisser une place (confortable) à la synthèse dès le départ : voir large, s’ouvrir, laisser entrer le monde et le laisser décanter dans la paix.

Relire la nature dans ce qu’elle nous offre au quotidien, relire et repenser autrement, avec de nouveaux éclairages, de nouvelles perspectives, installer un nouveau paradigme, un nouveau lien à la nature, car relire c’est aussi se relier, voire se re-lier, renouveler notre attachement à notre hôte.

(extrait de « Ce que nous dit le Vert dans le spectre » – titre provisoire -, évocations sur la Lumière de la part de votre serviteur).

Allez, « bonne chance » à tous, car, ne serait-ce que :

  • pour contrebalancer la libéralisation et l’impunité des cultures OGM de pleins champs qui se généralisera à terme après la décision états-unienne,
  • ou pour faciliter la transition énergétique que tout le monde plébiscite, « tout le monde » dont beaucoup qui ne veulent pas perdre leurs investissements dans le nucléaire ou ailleurs,
  • etc.,

il est grand temps de changer de paradigme !

La suite du développement de ce sujet est dans un texte en format numérique (.pdf ou e-pub) pour toute contribution supérieure à 3.99€ par titre. Disponible ici.

Patrick ROUSSEL

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NOTES

[1] Manque de confiance en la nature : Notre dispendieuse activité industrielle nous porte à trouver des solutions techniques pour répondre à des problèmes du Vivant, un Vivant dont on ignore tout et qu’à la limite on ne considère même pas vraiment dans son archétype, le réduisant à la somme des espèces qui composent la biodiversité.

Le volcan islandais au nom imprononçable mais heureusement inscriptible, l’Eyjafjallajökull nous a honorés d’une terrible pluie de cendres dont on perçoit après coup et tragédisme qu’elle a largement participé à fertiliser l’océan ou les champs (voir ici, et ici comme exemples) . [retour texte]

[2] Citoyenneté : Évidemment lorsqu’on arrive sur les commentaires qui émaillent par exemple cette information sur les brebis transgéniques fluorescentes on a de quoi douter d’un pouvoir quelconque de la citoyenneté. Il ne s’agit pas de demander l’avis de tous mais d’aller vers des impulsions comme celle de Jacques Testart. [retour texte]

[3] Écologie : en fait il est paradoxale, ou incongru, de séparer l’écologie environnementale de l’écologie humaine. Il ne saurait y avoir qu’une seule écologie car dans l’environnement il y a l’humain… et tout humain fait aussi partie de l’environnement des autres : La nature n’est pas l’environnement sans la nature humaine… [retour texte]

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Par Patrick ROUSSEL

Chercheur goethéen en biologie et "physique du Vivant" et bien d'autres choses comme enseignant, acteur ou potentiellement conseiller en écologie (formé)

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