3 articles parus en juillet, septembre et octobre 2011
Agriculture (I).
L’homme intervient dans la biosphère comme tous les règnes. Il a sa place dans le jeu des échanges. Un trait typiquement humain est la sédentarisation avec tout ce qu’elle implique. Par exemple de pouvoir gérer les ressources agricoles nécessaires à l’alimentation, mais aussi à l’habillement puisque sa nature ne lui permet de se contenter d’autonomie.
Lentement et pour ses deux raisons principalement l’humain a envahi la Terre il se l’est appropriée, la modifiant pour son évolution ? Cette évolution l’a amené à pratiquer les échanges, les systèmes économiques ont été mis en place. Ces derniers gèrent maintenant l’humain, la nature tout entière qui le porte et même sa planète (des couches géologiques jusqu’à la haute atmosphère alors qu’il y a seulement deux petits siècles, il vivait encore à la superficie du monde).
Indubitablement tout ceci ne peut se faire sans une transformation en profondeur du visage de la Terre qui se trouve de fait tendu sans arrêt entre ses propres rythmes et la cadence que lui impose l’humain.
On doit pouvoir affirmer que l’asynchronisme est actuellement à son maximum. Par sa conscience l’humain tente d’infléchir son impact sur la planète.
Son action principale dans ce sens se borne à une gestion atmosphérique (air), il est en soucis grandissant sur l’eau (eau) et commence à s’inquiéter des ressources minérales (terre). La révolution de son comportement vis-à-vis de la nature change, et dans le même élan les comportements socioculturels se modifient, les peuples s’affirment vis-à-vis de leurs dirigeants (feu !). On pourrait dire tout esty en place pour une sévère reconversion de l’élan pris il y a deux petits siècles.
Au cours de ces deux petits siècles, l’humain a eu le temps de créer des dégâts considérables allant presque jusqu’à inverser l’ordre naturel des choses : il comprend qu’il doit maintenant porter la nature qui l’avait alors porté ! Il doit se mettre à la hauteur des capacités de celle-ci et ne plus lui imposer le rythme effréné de la cadence économique (système totalement hors-sol s’il en est !).
L’humain est face à des choix quasi stratégiques qui dépendent entièrement de son attitude dans la gestion de l’économie face à l’écologie avec au cœur du problème : l’agriculture, nourrir l’homme qui a faim sans faire grossir les autres qui sont arrivés à satiété.
L’histoire de l’agriculture intensive (qui a… mettons 50 ans !!!) est intéressante à plus d’un titre dans sa façon qu’à l’humain de vouloir profiter de son intelligence en même temps que des ressources naturelles. Mais l’humain est plus vif que la nature (il est feu… quand la nature est plus paisiblement terre, eau et air…). Et ce qu’il comprend à un moment donné, il l’applique tout de suite à l’échelle immédiatement planétaire : le déficit alimentaire de l’après guerre a été rattrapé grâce à l’agriculture intensive. Cela a été un traitement de choc utile qui n’a pas à devenir éternel…
Aujourd’hui cette agriculture qui se développe avec ses promesses pacotilles (OGM, rendement, raisonnabilité…) dignes des cadeaux des premiers colons aux peuplades amérindiennes est en train d’enterrer le si fragile manteau de vie soit par la minéralisation (fossilisation, momification) soit par inoculation d’espèces technogènes fragiles nécessitant pour leur permettre de démontrer leur pouvoir (financier plus que tout autre) un contrôle complet de la chaîne du vivant : et là on arrive à une mécanisation du vivant, un asservissement de la nature à des techniques de laboratoire, c’est-à-dire un contresens !!! Qui sait ce qui ressortira de ce pas … tragique ?…
Mais il faut bien nourrir les villes et cela ne peut se faire qu’à la campagne. La raisonnabilité d’un régime moins carné est dans l’air, mais il ne faudrait pas en arriver là pour des raisons biocarburantes entre autres…
La planète doit pouvoir nourrir bien plus d’individus qu’elle ne le fait pour autant que l’humain saura être raisonnable, c’est-à-dire en adoptant, aujourd’hui, une attitude cohérente face à une nature qui n’a pas son feu, la même échelle de temps que lui !
Face à l’agriculture intensive (un homme produit pour dix mille autres !) l’agriculture biologique est une sorte d’agrément d’exploiter la terre parce qu’elle intègre, ou possède la volonté d’intégrer, tous ses amendements sous forme digeste pour le sol, pour plus précisément l’humisphère. Il ne devrait y avoir, dans l’intention, aucune charge, aucun déchet. De fait il y en a, ne serait-ce que parce que le circuit ne se ferme pas localement, les déchets se retrouvant hors du lieu de production et pour des usages qui ne concernent pas que nos intestins comme c’est le cas chez la vache ou le lion et bien d’autres…
Agriculture (II).
L’adage rien ne se crée rien ne se perd de notre bon vieux Lavoisier n’est-il pas une erreur, même si on rajoute avec lui le tout se transforme mis en évidence par la thermodynamique couvrant de son regard paternel le monde et sa future fin entropique ?…
Que signifie cette formule si ce qu’on a perçu (peut-être seulement ce qu’on a cru percevoir au niveau du minéral) est partiel en regard du développement des organismes vivants sans même parler de l’humain ?
Ce point de vue (minéral) ne concerne que la nature physique du monde, une nature dont nous commençons à peine à découvrir les cycles, leurs richesses, leurs imbrications leur importance, c’est-à-dire ce qui en fait quelque chose de vivant. Le minéral concerne une nature confinée dans une pérennité que l’humain a dramatiquement déséquilibrée pour ces propres besoins, pour assurer les idées qu’il crée (il est le seul dans les règnes naturels à faire cela, en ce sens-là au moins nous devrions nous interroger sur la nature animale qu’on lui prête généralement…).
Car l’humain crée. Et pour cela il a besoin de consommer de la ressource, pas seulement de la transformer (ce qui se transforme c’est l’objet de la création qui pour exister a besoin de matière). On devrait dire que pour avancer, comme dans la marche, il faut créer un déséquilibre. C’est ce que fait l’humain avec la nature.
Pour se mettre en accord complet avec la nature telle qu’on la voit aujourd’hui, il devrait accepter de ne pas créer, de ne pas … évoluer. Mais ça, évoluer, c’est dans sa nature à lui, et certainement bien plus que dans ses gènes (qui appartiennent à la nature) !
Pour en revenir à notre sujet, l’activité humaine agricole, même en bio, aura toujours un impact.
On peut s’appuyer sur le principe entropique et se dire que l’impact sera toujours négatif (davantage de dépense que de recette à cause de pertes).
On peut aussi se dire que l’inverse est possible et se donner les moyens de le mettre en œuvre : ne pas donner à la terre moins que ce qu’elle nous donnera, mais lui donner différemment, ce qui peut être envisageable si l’on se place dans le contexte du fluide – vivant, c’est-à-dire hors l’exclusivement minéral figé – physique…
Ceci n’est pas un miracle annoncé mais seulement ce que nous faisons aujourd’hui déjà, bien trop imparfaitement ou plutôt trop maladroitement.
En donnant nos engrais azotés style NPK, nous donnons à la terre, au terreau de culture ce que nous croyons qu’elle nous donne ou ce qu’il faut lui rendre pour assurer sa pérennité. Or, de son côté, elle semble donner plus puisqu’elle élève vers le vivant l’indispensable minéral que sa nature pesante porte davantage à rejoindre la Terre. Elle se charge donc toute seule d’ajouter un nécessaire que ni l’agriculture chimique (agrochimie), ni l’agriculture raisonnée ne lui donnent ou ne lui permettent de mettre en œuvre. Peut-être aussi que la terre ne donne pas ; peut-être n’est-elle pas active dans le don, peut-être sert-elle de passage entre ce qui forme et ce qui doit être mis en forme !?
Un simple compost vivant fait plus pour la terre qu’une dose de fertilisants minéraux. En ce sens le « bio » est plus performant que les techniques industrielles.
S’il en faut, un amendement biologique apporte les éléments indispensables pour compenser les affaiblissements en ressources que les déplacements végétaux ont produits (on cultive ici on utilise ailleurs). Il sera peut-être aussi riche pour le sol que la dose NPK minérale lessivée à la première pluie, mais en plus il sera moins minéralisant pour le terreau, il sera plus organique c’est-à-dire en accord avec le vivant qui doit se développer sur cet ancrage, et qui sans lui n’aurait pas de prise.
Le compost est plus digeste pour la microfaune qui stimule le vivant autour du grain qui doit germer ou autour des racines, microfaune dont l’activité digestive redonne à la terre le minéral fertiligène sous une forme de minéral rapporté du vivant. En outre, cette activité du vivant apporte certainement une qualité de chaleur au sol (sans élévation particulière de la température).
Peut-on assurer que ce minéral là, issu du travail par le vivant, soit de même qualité que le minéral issu du chimique ?
Il y a certainement là un gros travail à faire en partant du point de vue le plus large, celui du vivant au moins pour éviter d’omettre son impact.
Agriculture (III).
Associé à la naissance de la culture biologique il y a un nom : celui de Rudolf Steiner. Si ce n’est pas usuel d’en parler dans ce blog, nous devons bien le mentionner et l’honorer pour son apport incommensurable à la société qui perdait alors sa terre sans s’en rendre compte (et continue actuellement à le faire en s’en rendant curieusement compte !). Mais le bio dont il a parlé – il a dit en gros voici ce qu’il faut faire sans tarder, il sera toujours temps de réfléchir après – a permis de cultiver des terres dont le substrat n’était pas ou plus favorable. Il a donné les bases non du biologique mais du biodynamique : comment intégrer le vivant, comment stimuler le matériel, le terrestre afin qu’il fasse son œuvre avec le vivant. Et cette stimulation n’est pas un dopage du matériel, comme on peut le penser avec NPK, mais on se sert du matériel comme d’une ancre sensée maintenir, ou assurer, un lien avec l’environnement étendu jusque dans sa dimension cosmique.
Il semble que ce soit là le but fondamental de la biodynamie. Pour penser la biodynamie, qui s’appuie sur le Vivant il ne faut pas penser que le vivant se fonde sur le matériel.
La biodynamie est un trésor qu’on cultive (sic) depuis plus de huit décennies à l’ombre de sa fille… Car, de fait, la culture biologique a été la descendante de la biodynamie en ce sens qu’on a compris ici ce qu’on savait depuis les balbutiements de la culture agricole : les apports minéraux, outre leur potentiel minéralisateur, ne sont pas indispensables dès lors qu’on soigne le substrat avec des amendements organiques choisis, ils ne sont pas l’essentiel. La Terre finalement se débrouille bien elle-même depuis la nuit des temps avec son propre terreau, son minéral élevé dans un premier temps (croissance et développement) puis déchu dans un second temps (grainage et dépérissement) pour être digéré par du vivant (celui de la litière davantage sans doute que les autres consommateurs qui ne font que pré-mâcher le travail) qui le ressert pour une nouvelle élévation… On est là dans le domaine du bio, enrichi ici et là d’amendements particuliers du fait de cultures particulières.
Mais la biodynamie n’a pas la prétention particulière de rendre à la terre autrement que par l’utilisation du compost ce qu’on lui prend … elle ne veut pas non plus lui donner davantage (on ne créera pas un excédent de matière). Elle travaille entre autres directement sur ou avec le vivant qui se trouve dans cette si fragile et ténue peau humique pour qu’il joue son rôle de passeur. C’est davantage un accompagnement de la terre qu’un travail de la terre, c’est un soin, pas seulement dans les cas de guérison nécessaire, mais un soin presque hygiénique. L’hygiène dont il est question n’est pas la propreté (ôter les indésirables comme le font les pesticides et autres produits en -cides) mais le moyen de garder une efficacité dans sa relation au vivant et d’aider à diriger cette efficacité vers le végétal.
Vue de l’extérieur, et pour reprendre un terme oublié depuis longtemps par notre matérialisme, la biodynamie ressemble davantage à un grand œuvre alchimique des époques antérieures à la chimie lavoisienne qu’à une application concertée et cohérente de déductions logiques.
Mais si la biodynamie n’est pas une logique d’exploitation des sols, comme l’agrochimie, elle n’est pas non plus une sorcellerie issue d’un autre âge, elle est, comme son nom l’indique, une dynamisation du sol dans la production qu’il est capable de fournir. Elle fait appel à des concepts dont une science dénaturée et en mal de non-matière a des difficulté à cerner.
Mais pourquoi vouloir cerner pour juger, ne faut-il pas se contenter d’accueillir ? La biodynamie ne semble pas porteuse d’effets négatifs… Elle souffre sans doute d’une image ascientifique parce que la science d’aujourd’hui n’a pas encore cherché à ouvrir ses concepts à une dimension qui est celle du vivant. L’écologie (la science de l’environnement) et la biologie (la science du vivant) considèrent le vivant comme l’ensemble des êtres vivants comme si elle considérait le matériel comme l’ensemble des matières existantes.
Le Vivant est au-delà de l’ensemble des êtres qui le manifestent de même que la Matière est au-delà de l’ensemble des substances qui la représentent.
On a du pain sur la planche… À défaut d’un grand œuvre intellectualisable, contournons la chose et prenons le train du vivant… Ouvrons la science au Vivant, il saura bien nous indiquer la voie et nous saurons bien découvrir d’autres moyens pour lire le vivant, le dynamique que nos merveilleux moyens qui lisent le stérile, l’inerte. À n’en pas douter, ils seront aussi efficaces l’un que l’autre dans un cadre scientifique, mais ceux du Vivant seront sans doute aussi plus performant pour ce qui est du lien entre nos activités et consommations humaines et ce que la terre peut supporter.
Notre laboratoire scIence veut se développer dans ce sens ; il a besoin de moyens financiers très raisonnables. Ces derniers lui donneront, outre l’énergie consommable dans le travail de recherche, l’indispensable accès à la transversalité nécessaire, car nous ne comptons pas rester dans notre coin !
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Je relisais ce billet à l’heure où la magazine Science et Avenir titrait Ce que la science sait de la mort. Cela me rappelle cette petite phrase du philosophe Michel Henry : » En dépit des progrès (merveilleux) de la Science, on en sait de moins en moins sur la vie. »
À bientôt.