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Cervo… Disquo… et informations (1/2)

Introduction sibylline…

J’ai reçu ce message dans un de ces courriels qui passent de boite en boite :

Si le cerveau des personnes âgées est lent, c’est parce qu’ils savent déjà tellement de choses.
La mémoire des gens ne diminue pas avec l’âge, si cela leur prend plus de temps à se rappeler des faits, c’est, d’après les scientifiques, parce qu’ils ont plus d’informations dans leur cerveau.
Tout comme un ordinateur rame quand le disque dur est trop plein, les humains prennent plus de temps pour accéder aux informations lorsque leur cerveau est plein. …
[suite en note 1]

J’en ai trouvé la source sur le Huffington Post du 29 janv. 2014 [2].

J’ajoute volontiers l’extrait suivant tiré du dernier paragraphe de Molécule la merveilleuse, un ouvrage de Lionel Salem, 1979, Inter Editions) découvert exactement le même jour :

La vie est l’œuvre d’une infinité de molécules. Et quand bien même certains gestes — le tir d’un footballeur, le baiser d’une mère à son fils — sauront toujours nous émouvoir de façon unique, peut-être sourirons-nous désormais intérieurement, avec quelque complicité, en pensant à toutes celles qui sont responsables de ces gestes.

La mécanique du corps

Cela fait longtemps que je relève de tels propos qu’entraînent nos prouesses technologiques. En gros :

je fais une machine et comme je trouve que mon corps fonctionne de la même manière alors j’en déduis que le corps est une machine !!!

Je n’invente rien ; c’est ce qui  »nous » arrive tous les jours et qu’on nous serine 24h/24 comme un dogme, une doctrine, il suffit d’allumer la radio, de suivre une émission sur les merveilles du vivant, ou de lire un journal, voire d’aller à l’école, au collège, au lycée, à l’université et même avec les collègues de travail, etc.. Humain, animaux et plantes, bactéries, archées et autres protistes : tout serait machinerie moléculaire !!!

Avant notre ère technique, c’est-à-dire en gros 150 ans, il ne serait venu à personne l’idée que le corps, ou un être vivant, puisse être considéré comme une machine, on disait naïvement que la vie venait de Dieu sans trop savoir ce qu’on pouvait mettre derrière ce mot qui se suffisait à lui-même. Aujourd’hui l’auguste « personnage » a été déchu de sa fonction, dégradé au rang d’idole pratique peut-être pour certains ou d’idole malfaisante pour d’autres qui se rengorgent des horreurs qu’on peut faire en son nom !

Il ne s’agit pas ici de reprendre notre dernier billet mais de voir s’il est « logique » de considérer la machine corporelle avec sa pompe, son disque dur et son usine chimique et sa centrale énergétique.

Un cliché issu de Star Wars
Un cliché issu de Star Wars. La machine parodie l’humain en toute excellence, mais l’humain, jusque dans son corps, manifeste l’émotion de son être (ici de l’angoisse) .

La naïveté déiste a été remplacée par de la naïveté techniste, c’est tout. La vie ne nous intéresse toujours pas en tant que telle au niveau scientifique. On la décode jusqu’à son ultime support (ADN, qui n’est qu’une brique du vivant au même titre que la protéine qui en est chargée) sans se préoccuper une seconde du fait que la cellule est l’ultime atome du vivant. En dessous de la cellule on n’est plus dans le vivant, mais dans le chimique, le physique.

Pareillement cet atome du vivant qu’est la cellule n’est pas forcément autonome en tant que partie d’un tout qui possède une certaine autonomie.

Le geste du footballeur ne dépend pas des molécules qui sont au sein des protéines qui sont au sein des muscles qui sont au sein du corps qu’habite ce footballeur qui décide de réaliser un geste à travers son corps en utilisant ses muscles formés de cellules particulières issues des mêmes cellules souches que celles de ses os, de ses nerfs, de ses cristallins, etc… qui abritent des macromolécules protéiques… qui ne sont au final que des macromolécules travaillées par le vivant de l’être autonome pour assumer une tache précise au sein du tout corporel !

Si l’on met ensemble une vingtaine d’instrumentistes, chacun avec son morceau de virtuosité pour son instrument, si beau que soit chaque morceau et qu’on ait bien choisi les tonalités, je ne suis pas sûr que le résultat soit heureux… Il faut une œuvre commune, même si on tente de se passer du chef d’orchestre (ce qui a 20 représente(rait) déjà un bon tour de force).

Bichat nous disait en sont temps « la vie est l’ensemble des fonctions qui luttent contre la mort » et Edgar Morin rajoute « … en s’aidant en même temps de la mort. » [E. Morin, La voie, éd. Fayard 2011] alors que nous devrions nous dire que la vie cadre et contrôle l’ensemble des forces qui détrônent la mort de son emprise.

La mort n’est pas active ! C’est la vie qui l’est. Sans la vie, l’inerte demeure inerte, et il n’a aucune raison de sortir de son inertie ! La vie est ailleurs que dans la matière et ses relations internes possibles. La vie saisit la matière, c’est un postulat gratuit diront certains, c’est simplement celui que je choisis pour comprendre un peu du vivant.

La matière est asservie au vivant dans les corps éponymes… pas l’inverse.

Ne craignant pas trop de me répéter, je brandis volontiers l’étendard levé par Michel Henri dans La Barbarie, un livre qui n’offre pas grand chose de séduisant dans un monde préférant la technique à la vie et en lui accordant de plus en plus sa confiance, une confiance certainement un peu trop aveugle. Ce philosophe nous a mis en garde en 1987 avant de maintenir son propos en 2001 pour la seconde réédition de   :

« En dépit des progrès merveilleux de la Science
ou plutôt à cause d’eux,
on en sait de moins en moins sur la vie. »

La mémoire et l’être

Tout cela est bien beau mais revenons au sujet du cerveau disque dur plein des personnes âgées.

Évidemment nous avons une masse nerveuse limitée à un certain volume, une certaine quantité de matière susceptible de stocker de l’information : voilà ici un aspect bien mécanique (on devrait dire informatique ici).

Faisons une expérience : parlons avec une personne âgée qui a utilisé son cerveau toute sa vie et qui en dispose encore. Vous constatez le ralentissement, les trous de mémoires (douloureux), le tourne en rond sur une idée fixe, bien sûr, mais ce qui devrait retenir notre attention, c’est l’impuissance manifeste à ne pas retrouver ce qu’on veut dire. La chose est là mais transparente, on voit que la personne la sent, mais la chose échappe, la personne n’arrive pas à la saisir.

La chose ne s’échappe pourtant point, on perd les moyens de la stabiliser. Ce qui manque de plus en plus avec l’âge c’est la spontanéité, l’instant présent, la localisation temporelle. Le temps se floute, on finit par vivre dans des souvenirs qu’on est de plus en plus impuissant à rapporter. Les souvenirs sont là, on se rappelle avoir fait ça ou ça, mais cela devient imprécis jusqu’à l’absence complète qui présente un souvenir dans une transparence totale, un souvenir qui n’offre plus de matière à saisir, plus de point d’ancrage, qui échappe comme un savon mouillé à celui qui veut le saisir mais manque de doigté.

Portons un peu d’attention à ce que nous mettons en œuvre quand nous avons besoin de faire appel à la mémoire et que, l’âge aidant déjà un peu, la spontanéité collabore moins avec la vivacité. Qui peut dire qu’il cherche dans son cerveau, dans la matière de son cerveau, dans sa masse cervicale ? On met en œuvre notre activité qui de fait est centrée sur la tête, est mobilisée à partir de la tête, mais pour fouiller un espace non localisé, dans la tête éventuellement mais bien plus vaste que la boite crânienne, une sorte d’espace négatif ou le petit contenant ouvre sur un monde gigantesque.

Métaphoriquement parlant on mémorise en passant par la tête et ensuite on n’a plus à s’en occuper : On met dans une chaussette… et on retourne la chaussette !

Alors plus on a de connaissance, plus cet espace est évidemment riche, mais ce n’est pas cela qui ralentit l’hypothétique machine dans sa pseudo indexation du contenu mémorisé.

En vieillissant (ou pas…) l’image globale est toujours là mais elle nous échappe dans certaines zones ; cela veut dire qu’on sait moins comment voyager en elles.

Cette image, le paysage de nos actes, est ténue pour ce qui a été appris sans avoir eu à créer des liens, mais lumineuse pour tout ce à quoi l’expérience, la pratique, l’investissement, autrement dit des actions, nous a permis de nous lier. Dans la force de l’âge, on navigue assez bien dans notre image qui est encore elle-même très mobile et … vivante.

Mais si vous êtes en relation avec une personne sénile capable de rire du jeu de mot, il y a de forte chance qu’elle soit totalement incapable de parler de quoi que ce soit. Par ailleurs il y a de fortes chances qu’elle ne maîtrise plus non plus ses mouvements corporels.

Je vis cela chaque semaine avec une personne que j’ai commencé à suivre depuis 4 ans maintenant : au début nous faisions régulièrement du ski de fond ou de la montagne et entretenions des échanges, et maintenant ce monsieur n’embrasse plus le monde, il ne voit pas plus loin que le bout de son nez et, bien que chercheur au CERN toute sa vie, montagnard aguerri, il n’a plus rien de tout cela à quoi se rattacher. Son être conscient se rabougrit à l’espace corporel, pas le corps car il ne maîtrise plus grand chose, mais l’espace proche : comment porter sa fourchette jusqu’à sa bouche lui demande une maîtrise épuisante.

Le corps ne se trouve plus dans son environnement, la conscience non plus. Mais sa chaleur humaine réagit encore. J’entretiens de longs monologues avec lui… Il suit !  En lecture, il aime la poésie mais la prose l’endort… et il n’a que faire des affaires du monde (l’actualité).

L’espace négatif lié au cerveau dans lequel vibre notre mémoire, et peut-être une part de mémoire atavique, n’est plus accessible chez lui. C’est trop grand ! Il m’a montré cela le jour où, ayant gravi le Petit Mont Rond au-dessus du bassin de Genève, il a été terrorisé par l’espace ouvert alors que devant nous il y avait un replat d’environ 150 m avant de plonger vers le bassin de Genève ; le lieu était sécurisant mais l’espace, trop grand, est tout à coup devenu aspirant pour lui qui avait connu pourtant les hautes-montagnes vertigineuses et les vertiges intellectuels.

Ce jour, je n’ai compris cela que plus tard, ce monsieur a perçu que son être se perdait dans l’espace (n’est-on pas finalement dans tout ce que nos sens englobent ?…). Aujourd’hui, un simple changement de couleur dans le goudron lui rend l’équilibre chancelant et nous devons changer de passage, changer d’idée… mais je continue à lui parler de physique et cela le motive, c’est-à-dire que cela l’aide à se rattacher à ce qu’il a fait toute sa vie, nous avons ainsi refait le modèle atomique….

Notre mémoire peut largement dépasser ce qu’offre le nombre de possibilités neuronales, elle n’est pas un mécanisme, pas plus que tout organe ou organisme !

Dans la seconde partie de ce thème nous allons traiter de l’information.

Conclusion intermédiaire … et facétieuse !

« Si le poulet court quand on lui a coupé la tête
c’est parce que la tête,
programmée pour la recherche du corps,
l’appelle ».

Jean-Inuit Bichat,
entretien de 14h37 le 31/09 à Santa Clara
(Estrémadure, Hong-Kong, au sud-ouest d’Hiroshima) [3]


NOTES

1: Les chercheurs disent que ce processus de ralentissement n’est pas le même que le déclin cognitif.
Le cerveau humain fonctionne plus lentement à l’âge avancé, a déclaré le Dr Michael Ramscar, seulement parce que nous avons stocké plus d’informations au fil du temps.
Le cerveau des personnes âgées n’est pas faible, bien au contraire, ils en savent tout simplement plus…
Lorsqu’une personne âgée va dans une autre pièce pour y chercher quelque chose, qu’elle y arrive et se demande ce qu’elle est venue chercher, ce n’est pas un problème de mémoire, c’est un moyen naturel pour l’obliger à faire plus d’exercice.
ALORS, maintenant, quand je cherche un mot ou un nom, je me dis: « Mon disque est plein! »
J’ai probablement d’autres amis à qui je devrais envoyer ce message, mais en ce moment je ne me souviens pas de leurs noms. Aussi, s’il-vous-plaît, faites-le suivre à vos amis, il se pourrait qu’ils soient aussi les miens … [retour texte]

2 : Le lien s’ouvre dans un nouvel onglet (ou une nouvelle fenêtre…) [retour texte].

3 : On ne souffre jamais d’avoir des sources hyper précises pour justifier et appuyer ses propos et valider leur vérité… [retour texte].

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Par Patrick ROUSSEL

Chercheur goethéen en biologie et "physique du Vivant" et bien d'autres choses comme enseignant, acteur ou potentiellement conseiller en écologie (formé)

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