« Esprit » galiléen, matérialisme newtonien, démarche cartésienne
vs
« Approche » goethéenne.
- Genève, jardin botanique, le champ de tulipes.
À l’occasion de l’assemblée générale de l’association scIence (2013) j’avais lu les paroles suivantes qui aujourd’hui reviennent pour nous permettre d’observer la place de Goethe dans le parcours scientifique de l’Europe de l’ouest et par extension dans l’histoire de l’humanité :
L’homme dans la mesure même où il utilise ses sens non corrompus, est l’appareil physique le plus grand et le plus exact qui puisse exister et c’est justement le plus grand malheur de la physique nouvelle d’avoir pour ainsi dire séparé les expériences de l’homme, et que l’on ne veuille reconnaître la nature que dans ce que montrent des instruments artificiels pour prouver et par-là limiter ce qu’elle peut réaliser.
Goethe, JW, Maximes et réflexions, p. 78
Goethe disait faire appel à une observation sensible et supra sensible à la fois. Autant les sens ordinaires (principalement la vue dans son cas) étaient utilisés autant il savait que son jugement avait la propension à aller de l’avant vers que ces sens lui décrivait du monde. Au-delà de cette apparence brute, il cherchait donc à dépasser ce qu’il aurait peut-être voulu voir pour s’absorber dans un accueil du fondement archétypal du phénomène qu’il considérait :
« La Nature n’a point de secret qu’elle n’expose quelque part
aux yeux de l’observateur attentif. »
(Goethe, Autobiographie)
Derrière ce mot « attentif » Goethe exprime une observation véritablement impartiale, observation dirigée sur l’objet mais observation qui ne donne rien, sans rien qui vienne de l’observateur. Là l’apparence s’exprime alors dans sa nudité la plus complète au fur et à mesure que l’observateur tait ce qui pourrait ou voudrait provenir de lui. Goethe exprime ici, par ses mots « sens non corrompus » l’impartialité la plus chère au scientifique.
Mais en même temps il refuse au maximum l’outil intermédiaire entre l’observateur et l’observé, ce qui fera dire à Ernst Cassirer :
« La formule mathématique cherche à rendre le phénomène quantifiable,
la démarche de Goethe à le rendre visible. »
(Bortoft, La démarche scientifique de Goethe)
Cassirer trancha-t-il ou pas avec ce genre d’argument, peu importe* ; on sent qu’il y a une certaine polarité entre ces deux versions de l’interprétation du monde.
Aujourd’hui, je dirai qu’aucune de ces versions n’a à se prévaloir de l’autre. On ne peut réduire le monde à son aspect quantifiable, on ne peut non plus le réduire à son aspect visible. On peut par contre dans un désir bien légitimement humain de connaissance faire les deux. La connaissance à partir des nombres est un aspect non négligeable, mais il ne faut pas oublier l’ensemble, la relation, l’interrelation, et là les nombres s’effacent car il faut faire appel à un autre degré de perception.
On peut par exemple mesurer la quantité de carbone fossile injecté dans l’atmosphère depuis l’avènement industriel du pétrole, il faudrait aussi alors mesurer, si c’était possible, le progrès humain, la prise de conscience du monde et de l’importance des actes humains en relation avec le monde qui permettent à l’humanité de progresser, ou mieux, d’évoluer. Il faut aussi percevoir que la nature possède un aspect vivant, c’est-à-dire une sorte de non-formalisme, une aptitude d’adaptation qui n’est pas quantifiable.
À l’aube du XXIIe siècle, le monde vivant devra plus tenir compte de nos coupes, de nos prélèvement, de nos déchets, de l’appauvrissement des forces de l’eau que du carbone et du réchauffement climatique.
Car avec toute cette histoire que nous écrivons au jour le jour dans notre relation avec la nature depuis 150 ans, certains voudraient bien revoir notre progrès comme d’autres veulent tenter de l’adapter. La solution tierce, trop révolutionnaire sans doute, a du mal à percer :
Changer nos habitudes de vie, de confort, de progrès thérapeutiques, de loisir, de transport, en gros et presque uniquement … de consommation.
À l’heure actuelle nous nous rendons encore coupables vis à vis des générations futures (bien que nous ayons pris conscience !) d’empoisonnements continuels de l’eau de l’air et de la terre !!! Tout cela parce qu’on ne veut pas consommer moins d’un côté et que de l’autre on ne veut pas installer une décroissance de production.
Toutes les solutions proposées pour améliorer l’avenir
sont des solutions à portée économique plus forte que leur portée écologique !
L’humain n’a pas confiance en son potentiel créatif, c’est tout ! Et c’est là que réside notre peur. L’humain se croit ce qu’il n’est pas, mais apparemment il souhaite presque rester dans l’ignorance de ce qu’il est et que chacun dans le silence de son intimité peut sentir, pour peu qu’il s’en donne moyen et peine. Et alors, quand on commence à comprendre, cela ne monte pas à la tête, il ne peut se passer qu’une chose : les sens de la responsabilité pour autrui et pour la nature ! Cela étouffe toute ambition malsaine…
Par exemple, en occident, le scientifique cartésien lui-même n’imagine même pas faire confiance à la diététique qui dit que céréales + légumineuses permet de remplacer l’apport protéiné de la viande ! Pourtant il est sûr de ce qu’il avance dans ce qu’il lit à travers les éprouvettes et autres tubes à essais. Sa tête en est sûr… Mais l’acte à produire, ne serait-ce que son intention, lui fait croire qu’il va devoir accepter de perdre plus que ce qu’il a (exit le goût, la texture de la viande…). C’est tout simplement faux, on ignore généralement tout ce que peut nous apporter un pas nouveau…
La science actuelle ne veut pas imaginer, ne parlons pas de penser, que la nature est vivante, on dirait qu’elle se refuse simplement cette pensée ! Elle pense la nourrir d’engrais… mais elle ne fait rien pour se dire qu’elle peut aussi la nourrir de force (comme le fait la biodynamie) comme si elle pensait qu’un sportif est le reflet de ce qu’il mange !!! C’est une ânerie, n’est-ce pas ? Et bien pour la nature c’est la même chose, c’est en comprenant le Vivant (en tant que forces) sur lesquels elle s’appuie que l’on peut soutenir la terre pour produire avec générosité des aliments qui nourrissent et ne sont pas là pour nous engraisser !
Au cœur de la démarche goethéenne, il y a le lien entre l’observé et l’observateur, il y a une attitude. Goethe, en regardant la nature, ne pensait pas, il recevait, il accueillait. J’avais une collègue, professeur d’art, qui était consciente des couleurs complémentaires que ses yeux produisaient… voyait-elle le même monde que tout un chacun qui ne fait pas attention, ou ne sait pas faire attention ?
Goethe parlait de sensible-suprasensible, il ne parlait pas de « vision« . Newton, bien plus mathématicien et intellectuel que physicien expérimental, et ses descendants, se rassurent avec les nombres, car ceux-ci sont neutres par nature… mais ils viennent d’où ?… Le confort du nombre c’est la facilité de ne pas avoir à se faire confiance.
L’ouverture goethéenne a son pendant dans la fermeture cartésienne : Goethe ne permet pas (encore) de fabriquer des machines, Galilée-Descartes-Newton : oui.
La pensée goethéenne sait le monde et nous pouvons le lire avec son aide, l’autre pensée utilise le monde mais sa description ne nous parle pas, et la science qu’elle pose, le regard qu’elle pose, les méthodes qu’elle pose, les outils qu’elle façonne, tout ça, chaque jour nous apporte un peu d’espoir et vingt ans plus tard, si ce n’est plus, l’interrogation sur le bien fondé de la chose…
Pas assez volontaire, pas assez sensible, la science galiléenne nous fait avancer en aveugles, émerveillés mais aveugles !
La science goethéenne* n’est pas assez productive ! Et pour cause, elle s’appuie sur le Vivant pas sur le mort… elle n’amène au labo que le physique, pas le biologique qu’elle ne conçoit que dans son environnement… (relire les billets sur l’environnement) Et le risque de l’écologie, la dernière science née, est de tourner son regard du mauvais côté croyant utiliser le monde mieux alors qu’elle devrait en décoder les dynamiques, des dynamiques qu’elle pense actuellement secondaires. Un jour, si elle va dans cette direction, des applications naîtront qui ne s’inscriront pas en faux dans le portrait du monde.
* Goethe n’a pas posé plus de méthode que Galilée, Descartes ou Newton (et d’autres encore).
L’exploit du XXIe siècle sera dans cette prise de conscience indispensable que le monde est Vivant. Malraux aurait vu trop loin (Voir ici à propos de sa petite et célèbre phrase) la considération du Vivant doit se faire avant celle de la spiritualité. Faire le saut n’aura jamais de crédibilité scientifique.
2 réponses sur « Conception du monde, et « écoles » scientifiques. »
Bonjour
J’ai beaucoup aimé lire votre article que je trouve très inspirant, votre vision de l’homme et son rapport à l’écologie, la nature, au changement, est très intéressante.
Je pratique la biodynamie dans mon jardin et je m’intéresse maintenant à aller plus loin dans la phénoménologie de Goethe.
Auriez-vous des livres ou des sites à me conseiller pour aller plus loin dans cette approche Goethéenne ?
Cordialement,
Aurélien
Bonjour Aurélien et merci pour votre message.
Des sites ?… non, à mon sens il n’y en a pas qui soient sur le goethéanisme en tant que méthode ou protocole.
Des livres, alors là oui il y en a ! Des anciens, les écrits scientifiques de Goethe comme « La métamorphose des plantes » et « Le traité des couleurs », mais aussi ses entretiens avec Eckermann (occasion ?) qui existent en français, mais aussi ce qui se trouve en langue allemande et traitent des autres sujets d’intérêts du poète scientifique… On trouve aussi nombre de livres qui parlent de Goethe et de son approche de la nature mais cela ne vaut pas la pratique…
Le mieux est de s’inscrire à des séminaires* pour pratiquer une approche d’élargissement des phénomènes en place et lieu du réductionnisme habituel. La science goethéenne en fait, relève de cette élargissement qui permet une ouverture, une position d’accueil, et une objectivation qui attendent d’être cultivées depuis plus d’un siècle et demi !
Juste un conseil si je peux me permettre : regardez pousser vos plantes en oubliant ce que vous avez appris, ce qui était juste refait vite surface mais dans un cadre qui vous force à vous interroger (plus qu’à aller chercher des réponses toutes faites mais combien inconfortables dans l’orientation technologique que prend la science académique) et trouver des réponses (forcément partielles) dont vous percevez l’objectivité.
Bien à vous,
Patrick ROUSSEL
* en entrant stage « science gothéenne » (ou « approche goethéenne ») dans un moteur de recherche (écosia, lilo, etc.) on doit trouver sabot à son pied mais tout ne se vaut sans doute pas… vous pouvez aussi adresser un mail aux éditions Triades (http://www.editions-triades.com/)