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Et « soi » dans tout ça ?…

L’époque actuelle est semblable à une sorte de crise identitaire de l’humanité. Que représente l’humain ? Quelles sont ses véritables forces, capacités, aptitudes ? Pourquoi l’humain ? Qui est-on ?

Pour répondre à ses questions l’humain en question prête un peu trop foi (à mon goût) aux preuves par la technologie et la science qui tire ses conclusions pour nous, façonne ses postulats, s’aveugle sur la puissance de ses technologies.

Nos moyens non destructifs d’investigation au sein des processus cérébraux sont tout simplement extraordinaires. C’est une performance à nombreux titre. Mais est-ce une solution de réponse aux questions existentielles ? Est-ce une preuve d’objectivité holistique ? Non !

On décortique magnifiquement ce qui se passe dans le cerveau, quand on pense, quand on dort, quand on souffre, quand on jouit. On en fait des photos dont les bases de données regorgent à bien plus haut niveau que ce que le temps nous offre pour réfléchir à chacune. Face à cette déferlante on n’a pas d’autre choix, apparemment, que d’employer la méthode statistique doublée, performée même si l’on peut dire, par nos moyens de vulgarisation par l’image, nos moyens de simulation, de reconstitution, nos infographies. Pour expliquer aux autres nos découvertes, on les transforme en image facile à lire, synthétique, certes, mais souvent loin de la réalité.

À l’autre bout de la chaine, le lecteur, auditeur, spectateur, le passant lambda ou le scientifique curieux se retrouvent face à une sorte de naïveté imagée qui lui explique tout en mettant en avant avec plus de clarté ce qu’il faut voir (éventuellement sans penser) : « alors, là, tu vois, c’est un chat. Tes yeux où l’image se forme, ne voient pas… c’est ton cerveau qui en reçoit le message par information neuronal et qui te fait penser que tu vois un chat mais il n’y a pas d’image de chat dans ta tête même si tu imagines le chat, etc… » Parfois on rajoute même « tes yeux sont des capteurs qui servent à traduire en langage électronique les informations qu’ils reçoivent comme le font les capteurs photos pour les envoyer vers un logiciel de reconnaissance d’image. Tu n’as pas peur du chat parce que dans ta tête, il y a une image mémorisée qui associe le chat avec une tranquillité rassurante . Par contre cette araignée te fait peur parce que ta maman est effrayée devant un tel monstre qu’elle se doit de le terrasser dans une violence quasi désespérée, et une telle image traîne sans doute dans ta base de données.« 

Bon, je délire un peu ici, mais pas tant que ça. Et je me dis avec une ironie relativement grinçante qu’on a heureusement su inventer la capteur, le disque dur ou la mémoire flash pour expliquer comment « fonctionne » le cerveau…

Cet organe a souvent alimenté les articles de ce blog. Mais maintenant, je m’en inquiète bien plus qu’avant ! Je vais vous narrer courtement une anecdote. J’écoutais la radio en conduisant. On y parlait sur le thème « l’homme est un animal et un peu comment il était conditionné par sa physiologie ». Loin de moi l’envie de dire le contraire, l’essor possible de l’aigle dans les airs ne m’est pas donné et cette lacune physiologique me limite à traîner sur le sol. Bref, devant moi un camion dont le hayon affichait cet avertissement « transport d’animaux vivants« . Intérieurement j’ai associé le panonceau au transport scolaire : Transport d’enfants devenant Transport d’animaux vivants

Source : https://www.serenne.com

L’anecdote s’arrête-là. Verriez-vous d’un bon coeur une telle mention sur les bus de transport scolaire ? Non, je ne pense pas. Comme moi vous sentiriez ici quelque chose de mal sain. Vous seriez touché.e au fond de vous si tant est que quelque part dans votre histoire vous ayez déjà eu le sentiment de vous.

Tant pour les neurosciences que pour l’évolutionnisme il y a quelque chose de dérangeant, enfin pour moi. Il manque à chaque fois un élément, on ne parle jamais d’une chose comme s’il s’agissait d’une abstraction, un postulat, une fantaisie, une utopie, que sais-je … Il y a dans la doctrine évolutionniste comme dans la neuroscience, un quelque chose que l’on retire systématiquement comme pour le dédouaner, en faire une sorte de fatalité sans consistance, un élément pourtant très présent en moi (en vous aussi d’ailleurs je pense… vous me suivez ?…), le plus important sans doute à mon point de vue et sans doute aussi le plus important pour vous.

Parallèlement à ces deux thèmes, neuroscience et évolutionnisme, on va retrouver celui de la santé et aussi ceux de l’alimentation, de la sécurité, voire de la société, et d’autres sans doute encore où l’on évite tout rapport avec cet élément. Dans tous ces domaines on définit un modèle général, optimalisé (le taux de trukenline doit être entre -1.4 et +2.5 pour être en bonne santé, sinon il faudra l’amener vers ces valeurs), un modèle à l’image de tous, une sorte de tronc commun, de définition de la nature humaine ; mais c’est mon expérience et la vôtre aussi peut-être, bien souvent, je ne rentre pas dans les cases… un, deux, dix etc. plusieurs critères sont hors norme et je n’en suis pas spécialement affecté quand d’autres peuvent représenter de réels problèmes. Ainsi la plupart d’entre nous ne doit pas se retrouver dans le modèle optimal sans que cela aille mal pour autant.

On vit par ce modèle comme pour aller vers une sorte d’image à atteindre et devenir … La règle n’est pas vous ou moi mais le modèle de nous…

Si on observe le Réel maintenant, que voit-on d’assez fréquent mais bien rarement commenté ? Et quand c’est commenté, c’est pour souligner éventuellement une défaillance du système, ou un fait extraordinaire : abriter des sans-abris, escalader un immeuble pour sauver un enfant mal parti, donner un rein, son sang, son temps… Tout le monde ne fait pas tout ça mais chez certains cela relève de la mission ! Je dois faire ça pour être à l’aise dans mes baskets, pour être clair avec moi dit une petite voix qui n’arrive même pas à la conscience.

Mais ce moi, c’est quoi ? Le moi, c’est une impasse pour la technoscience (circulez, il n’y a rien à voir sous la lorgnette et pour cause : le moi aurait une seule raison d’être physicochimique ?) ; mais le moi c’est aussi un champ largement ouvert pour celui qui se cherche (qui suis-je ou que suis-je ? Pourquoi suis-je ? Comment suis-je ? Pourquoi ces épreuves incessantes ? On ne me voit comme je me sens, Etc..). Et ce champ, capable de demeurer indéfinissable peut-être toute une vie, recèle un Mystère, quelque chose qui est plus que mystérieux. Mais ce Mystère, ce champ de l’être, le moi, ce qui fait que je peux dire « je » et que personne d’autre que moi n’a pu m’apprendre, j’ai l’impression qu’à part en psychologie voire en psychiatrie, on n’en parle pas !

source de l’image : flamme (combustion) wikipédia

Le moi est totalement absent de la pseudo réalité de l’être qu’on nous décrit et qui n’est plus aujourd’hui que méli-mélo de molécules et autres jeux d’électrons. Le moi est insaisissable, chaud jusqu’à brûlant, informe mais formel, indéfinissable mais existentiel…

On n’en parle pas, c’est plus facile… mais voilà que, en plus, nos qualités personnelles autant que nos défauts personnels, tous deviennent le fait de notre corps de notre physiologie, de notre organisation physicochimique, celle, la seule, qu’on peut voir avec nos super machines d’investigation.

La motivation à être, à avoir, à trouver, à savoir une raison de vivre disparait lentement du dictionnaire de la vie humaine qui est déjà devenue, c’est entériné et c’est ressassé, rabâché à longueur de média, une absence du moi en soi : nous sommes des animaux, notre vie est animale. En ce sens il deviendra difficile, à terme, d’être responsable de quoi que ce soit.

Nous sommes des animaux consommateurs, exploitants en toute déraison des ressources de notre habitat partagé entre nous tous animaux, plantes etc.. L’humain : exception à l’extrémité de la chaine animal qui ne se conduit pas comme un animal tout en étant un animal. C’est ce que l’on veut nous faire croire, et on y croit car c’est la Science qui le dit.

Certes le développement personnel est à la mode car plus on va nier notre nature est plus elle va nous titiller. Non, je ne suis pas un animal, pas plus qu’une plante, une pierre ni un paquet d’électronique. Oui, j’ai un corps comme les autres êtres vivants et sans ce corps je n’aurai pas d’espace ni de temps dans l’espace-temps. Sans corps je serai bien embêté pour m’éprouver jusque dans ma vie autant que dans la tienne quand je te serre dans mes bras.

On va s’aimer jusqu’à s’en détester, puis on va se déchirer dans la douleur où la mort elle-même peut être envisagée comme une porte de salut, parce que le corps ne sera plus là pour accuser la souffrance. Et cette expérience parfois tragique de soi, on va finir par nous en débarrasser : dans le cerveau, à tel endroit, l’hormone trukenline vous a fait péter les plombs, c’est un bug de votre cerveau, soyez sans crainte, mais vous n’y pouviez rien, etc..

Mais cette expérience de moi, et de toi, à travers même peut-être que seulement un regard, va faire de ce moment de rencontre un instant unique où je t’ai connue, où tu m’as connu, un instant magique où nous nous sommes peut-être reconnus ! C’est la seule réalité qui compte véritablement, c’est-à-dire comme une vérité. Le reste, le chat qui rassure, l’araignée qui fait peur, ce serait si simple à surmonter si ON nous expliquait ce qu’est LE MOI, et à défaut de me décrire ce qu’est MON MOI, trop exclusif, trop atypique, et infalsifiable, douloureux.

La société se vide de son sang, le moi des gens étouffe sous la pression sociétale ; on n’a pas le temps de se chercher soi-même, de se rencontrer. Et le moi va finir par s’endormir, par fatalité orchestrée… Comment alors sauver l’humain en soi et par retour d’action, comment sauver communauté toute entière ainsi que sa maison ?

Mars ?!!! Exoplanètes ?!!! Foutaises, utopie, non, tromperie comme encore jamais il en fut, pourvu que l’on consomme et qu’on S’oublie, que le Moi sommeille. Et autant le cueillir avant qu’il ait pris trop d’élan. La plupart de ceux qui sont laissés pour compte sur les bancs de l’école pourrait y avoir accès mais on a dans la plupart des cas réussi à briser leur curiosité dans son œuf, le Moi… Car être curieux du monde est donné à tous le monde dès le premier regard, celui qu’on échange avec sa mère quand elle est délivrée du poids de sa double vie corporelle*.

Le seul enseignement qu’on devrait avoir à l’école, au lieu d’y recevoir une « formation », c’est celui qui ouvre à la liberté de pouvoir se rencontrer soi-même. Et cette enseignement il doit passer par l’art parce que dans l’art on approche le vrai sans qu’on ait à nous le définir. Et l’art à l’école, en France au moins, c’est généralement une catastrophe !!! L’art parle au cœur (je ne parle du muscle éponyme en particulier, mais du centre de l’être là où l’on se montre en disant « moi ? », si on fait la même chose en montrant sa tête…. cela risque d’être mal interprété. Il ne s’agit pas d’apprendre l’art (ce qui serait une activité cérébrale), mais de tout faire, calcul, grammaire, géographie, etc. avec art, pour s’adresser moins à la tête, plus au cœur et lier les gens à leur devenir par émerveillement, éveil à l’intérêt ; mais tout restera toujours leur propre affaire.

Mais, rassurons-nous, on sait plein de chose grâce aux neurosciences, elles vont tout arranger… ou tout niveler, qui sait ?!

Dormez en paix braves gens, ON pense déjà beaucoup pour vous…

On pourra rapprocher cet article d’un autre de mon blog de poésie : Mission humanitaire

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NOTE

* L’accouchement tel qu’il est aujourd’hui dans une large mesure considéré, c’est-à-dire comme acte principalement pour l’obstétricien, permet-il même ce premier contact avec un être humain qu’on voit, perçoit du dehors, comme ce qu’on vient de devenir soi-même ?…

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Par Patrick ROUSSEL

Chercheur goethéen en biologie et "physique du Vivant" et bien d'autres choses comme enseignant, acteur ou potentiellement conseiller en écologie (formé)

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