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Humain : chancre ou chantre ?

ou

Vers quoi l’esprit scientifique devrait-il évoluer ?

Une émission de radio qui prenait dimanche dernier le même chemin que moi m’a interpellé par quelques propos de Bouli Lanners (réalisateur, metteur en scène, acteur, scénariste) qui ont coïncidé avec mon court passage sur cette route du Gard où j’avais 2 km à faire. La radio était allumée, je n’ai pas choisi.

L’émission est ici et le moment sur lequel je suis ‘tombé’ est à peu près au milieu, à partir de la 22e minute. Je ne reprendrais pas ici le propos pour le juger puisque je n’ai pas écouté la suite de l’émission ni son début. Ce que j’ai entendu m’a juste mené dans une réflexion que je vous soumets maintenant. Car, j’ai réagi… Je ne sais pas ce que dit par ailleurs Bouli Lanners mais là il disait que l’idée de mettre l’Homme au centre de tout comme cela est proposé par le christianisme l’insupporte.

Je le comprends. J’ai aussi emprunté ce chemin pendant ma période d’adolescence… je ne supportais pas qu’on place l’Homme comme une sorte de phare ! Pourtant, après bien des années….

Explications !…

Il fut un temps où la planète des humains était au centre du monde. Puis des hommes observateurs surent que dans le monde physique cela n’était pas ainsi : la Terre était en mouvement (Archimède, Plutarque, Aristarque de Samos). Ils en parlèrent à travers des écrits que personne ne pouvait lire, ou très peu de personnes. Pendant des siècles encore l’humain sur sa planète se considéra comme au centre du monde, sur un monde solidement assis, immobile, non par le discours de prêtes savants mais parce que c’est l’expérience de chaque jour, de chaque nuit : le Soleil se lève à l’est, il course dans le ciel, et se couche à l’ouest. Se persuader du contraire (on tourne autour de lui en tournant sur nous-mêmes à partir du centre de la planète) relève du tour de force plus que du tour de piste… Et c’est déjà pas mal qu’on ait fini par croire les scientifiques à propos d’une idée aussi … tordue.

Vint un chanoine, économiste, voire docteur, qui avait la culture nécessaire. Observant le ciel Copernic effectivement commença à douter des descriptions issues de son propre clan (il était, entre autres, chanoine) : la Terre, dans les faits considérés, en adoptant une autre position que campé sur son sol, tourne autour du Soleil et non l’inverse qui ne relève que de l’apparence ; nos sens nous trompent… assura-t-il. Il en fit un livre : De Revolutionibus Orbium Coelestium (Des révolutions des sphères célestes). Les anciens le savaient mais cela ne changeait rien à leur vie, pas plus que cela chaque quoi que ce soit à la nôtre en connaissant maintenant quelques détails en plus (le livre pour ne pas créer de remous autour de la sa personne, ne paraîtra qu’à la mort de son auteur (Galilée aura un procès où il se reniera mais n’en pensera pas moins qu’il a raison, Giordano Bruno finira au bûché, pour avoir eu l’honnêteté de ne pas se parjurer lui-même. Képler et Tycho Brahé entérineront la chose en y mettant de la science scientifique…

Plus tard un autre homme de science et de littérature cette fois dira en prenant un autre point de vue encore que nos sens ne sauraient nous tromper, mais que c’est notre jugement qui nous met dans l’erreur, le comment nous interprétons ce que nos perceptions sensorielles nous transmettent. Goethe regardant les nuages, les plantes, les couleurs réfractées, les ossements, les animaux tenta de donner une méthode d’observation moins interprétative, plus proche de la nudité des phénomènes observés. Ainsi son emblématique docteur Faust va-t-il nous montrer l’erreur que nous cultivons encore en place de nos jours. Faust va sceller un pacte avec Méphistophélès (Pour Goethe, c’est le symbole du démon intellectuel qui procure à l’homme l’illusion de tout comprendre et de tout dominer. Méphistophélès, qui ne peut éteindre chez Faust l’aspiration vers l’infini et vers l’action, échoue. [source, et pour compléter, on peut lire dans wikipédia un article sur Faust à travers les époques ou à défaut lire les deux tomes du Faust de Goethe].

Et nous, là, au XXIe siècle ?… Quoi qu’il en soit de nos digressions astronomiques ou astrophysiciennes le Soleil se lève toujours à l’est pour aller se coucher à l’ouest… et nous trimons dans la biosphère, tiraillés entre nos rêves et nos délires, nos cauchemars et la réalité souvent dure et cruelle mais parfois aussi lumineuse et douce.

Oui, la réalité existe. Personnellement, moi, je la rencontre et la pratique au quotidien… pas vous ?! Mais si… forcément ! Et de toute façon, la mienne n’est pas la vôtre… la mienne n’est même pas celle de mon épouse, ni de mes enfants, des voisins, des concitoyens, des terriens.

La réalité est cet espace dans lequel j’évolue et qui me forme en même temps que je l’alimente. C’est génial, non ? Oh, il y a bien une ligne commune entre moi et vous et aussi entre la Nature et nous :

  • je suis matériel à n’en pas douter, autant que la porte du placard sur laquelle je viens de m’assommer ; j’ai mes limites pour porter les pierres, etc..
  • je suis vivant, car je vois bien que des processus se déroulent en moi qui me permettent de conserver ma forme physiologique dans une certaine fourchette, forme qui dépend, mais sans plus, de ma… forme matérielle, j’ai besoin de repos et pas seulement de carburant, je suis malade de temps à autre mais je m’en remets à chaque fois, etc..
  • je suis sensible, émotif, désireux, etc. ; et il me faut des trucs qui font du bien là où ça fait mal quand c’est le cas (choc qui me déforme, rage de dent dont l’origine m’échappe, trouble amoureux qui laisse mon âme dans le désespoir ou l’exultation, etc.), etc..
  • je suis actif. Oui, manger et dormir, me protéger et souffrir ne me suffisent pas, j’ai besoin à côté de ça de me sentir utile à mon entourage proche ou lointain, planétaire même peut-être, et cette activité me travaille tellement que même dans mon sommeil, blanchi ou pas, je travaille à préparer sans doute les inspirations ou intuitions que j’aurai le lendemain ; en fait je m’agite toujours quelque part, sans cesse même quand… je dors !

C’est tout ! Enfin presque. Presque, car dans cette liste il manque un élément qui pourtant est présent à chaque alinéa : je suis un JE, ni plus ni moins que vous ou les autres qui nous ignorent dans notre relation épistolaire. Et tous les autres JE que vous êtes sont autour de moi… ni plus ni moins central que moi. Et plus encore ce JE n’est ni masculin, ni féminin, même pas androgyne, il est asexué, et il n’est ni jaune, ni blanc ou basané, ni noir ou rouge ou café au lait. Et plus encore, il n’est pas né de la rencontre sexuellement féconde de mes parents, JE ne suis pas leur somme ou leur déduction collaborative ; ce sont des JE, eux aussi dont mon corps conserve des traces héréditaires mais pas moi, enfin moi peut-être un peu, mais je sens que pour MOI, ces traces sont plutôt des contraintes dont j’aimerais bien me libérer afin, enfin, de pouvoir comprendre mon MOI tout nu, sans plus aucun oripeau pour en masquer les facettes, afin, enfin, de me comprendre moi-même… JE suis un MOI qui est Tout et qui peut même considérer ce Tout.

Ça donne le tournis, non ? Ça doit être pour cela qu’on peut savoir ce JE mais ne pas pouvoir l’utiliser tant qu’on est pas assez mature pour le rencontrer. C’est plus facile de rencontrer celui qui est dans le miroir et qui est et restera une image, fut-elle éphémère comme toutes les images.

Aujourd’hui, ces images, elles ne sont même plus des images souvent, mais des suites de points composant une image, des points sans consistance et sans aucune réalité tangible. Elles sont des absences… Et notre MOI à chacun est comme chassé de ce monde.

Alors non, je ne suis pas le nombril du monde mais je suis au centre de ma réalité, et, pire que cela, je me cherche dans cette réalité afin de pouvoir la valider, l’éclairer, lui offrir une consistance.

On a dit la Terre tourne autour du Soleil, et non l’inverse. Puis on a dit que le Soleil était un rien qui tourne autour d’un point proche du lieu qu’on appelle Alpha dans le Centaure et qui est le centre géométrique d’une entité galactique aux allures de colosse mis qui est bien peu de chose vis à vis d’autres colosses colossaux. Ce Tout colossal est tellement grand que mon pauvre corps est insignifiant dans son histoire.

Ainsi on veut maintenant rabaisser ma prétention d’être à une sort de rien moins que rien en me noyant dans un tout dépersonnalisé, déshumanisé, où toi, cher lecteur tu serais un moins que rien aussi. Laisse-moi te considérer comme un Tout, voire un plus que Tout toi aussi.

Car, mieux, non seulement tu es un Tout mais en plus (eh oui, c’est possible), tu as, comme moi et les autres, la capacité de considérer ce Tout. Donc tu fais partie, comme moi et les autres d’un TOUT bien plus vaste que l’univers, et là est ta patrie vraie. Pour l’heure, quand on te dit poussière d’étoiles, qu’on te traite de poussière d’étoiles, on ne considère QUE le premier point de la liste établie plus haut dans ce texte.

Et dire qu’on est encore seulement des gamins pour ce TOUT… peut-être même seulement des bébés vue notre capacité de relation à autrui ! Mais on est en chemin !

source : National Géographique Œuvre de Pierre Paul Rubens

Andiamo

Alors voilà ma réponse à la question du titre. L’être humain du commun des mortels ne déborde pas, dans les faits, d’un amour pour la nature… Il commence tout juste à comprendre ce qu’elle est s’il se cultive une peu. Si c’est très récent à l’échelle de l’histoire de l’humanité c’est parce qu’il lui a fallu, à l’humain, créer le désordre, installer une dysharmonie dans le train train de Dame Nature qui l’héberge. Il ne pouvait pas avancer sans faire des bêtises parce que sa conscience est encore bien trop neuve, et les bêtises sont de taille à lui faire comprendre que non seulement c’est un roseau pensant que l’humain, mais en plus il ne fait pas vraiment partie de la nature. Seul un peu de lui en fait partie : les 1, 2 et 3 de la liste un peu plus haut. Le reste lui appartient en propre, et sa conscience quand il étudie les sciences de la nature

  • de la physique commune à l’astrophysique en passant par la physique quantique,
  • de l’histoire naturelle à la biologie moléculaire en passant par la biologie génétique, de la zoologie d’observation à l’étude des comportements et aux rapports entre les sexes pour assumer la reproduction des espèces en passant par le doute à propos des expérimentations sur les animaux,
  • de histoire des sociétés à celle troublante de la psyché humaine en passant par la sensibilité des organismes vivants,

n’est qu’un sas pour qu’il découvre sa place, non pas dans les limbes ou sur une autre planète éventuellement habitable, mais là dans ce grand Tout qui reste le seul moyen qu’il possède déjà (et vraiment) pour combler son sentiment d’incomplétude. Il faut que cette question s’éveille :

« Qui suis-je ? »

Sans la quête de la réponse, la Nature reprendra ses droits, manifestera son dépit, acceptera sans doute l’échec. La réponse à cette question n’importe pas, c’est la conscience de la question qui compte…

Les « JE » se renforcent dans leur faculté d’émergence au fur et à mesure que des impulsions contraires au bon sens spirituel tentent de les étouffer, les endormir, les relativiser. Les religions ont raté le pas, et il fallait que ce soit le cas très probablement, car l’humain n’était pas prêt. Il était trop jeune et elles n’ont fait que précipiter sa perte en l’emmenant dans des dédales de conscience et des pseudo règles de morale qui résident finalement en l’être humain lui-même.

Un extrait en portugais brésilien illustré à partir d’un long poème de Rupert Sipra. Le texte anglais d’origine est accessible en intégralité avec ce lien.

Il faut que l’humain connaisse le vide pour apprendre à le combler. La destruction de la nature est ainsi une partie intégrante de cet espace que l’humain doit déshabiller, dévitaliser, déformer, déstructurer pour enfin n’avoir plus d’image toute faite de lui dans le miroir. De même il se détruit lui-même (animalisme, transhumanisme, chimisme) pour aller toucher le fond du fond. « Je suis » est en train de perdre toute substance. Il se désincarne, se virtualise. Jusqu’à quand ne sera-t-il pas encore trop tard ?

Quand le réveil se produira-t-il ? Et s’il ne se produit pas au-delà de la limite fatale, alors l’humain se reconnaîtra dans son humanité comme dans la Nature, il connaîtra que la Nature Humaine et la Nature Maison doivent avancer en harmonie. L’humain doit évoluer, c’est sa fonction première dans la Nature, il est là pour incarner l’idée d’évolution, pour transcender le Temps (ce concept dont il ne semble pas savoir quoi faire ou au moins quoi en penser) ; il est là pour faire changer les paysages ; chacun est là pour apprendre à voir dans son homologue ce qui fait que les deux sont humains, frères comme dit depuis des siècles sans vraiment comprendre la dimension et la portée de ce mot.

Il relève de la responsabilité de la science d’apprendre à chercher autrement que par une foi absolue en ses appareils physiques qui ne montrent que le physique pour lequel ils sont conçus ; ils sont remplis d’idées préconçues, de mécaniques algorithmiques qui n’ont rien à voir ni à faire avec la vie … Arrêtons de rêver ou d’attendre que des chimères nous sauvent.

L’avenir de l’humanité n’est pas sur Mars, ni voire plus loin, mais, là tout proche, dans cette zone où bat le cœur, où l’on se montre du doigt en disant : « Qui ? Moi ? »

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Par Patrick ROUSSEL

Chercheur goethéen en biologie et "physique du Vivant" et bien d'autres choses comme enseignant, acteur ou potentiellement conseiller en écologie (formé)

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