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La langue

Dire, c’est vivre
Échanger, c’est relier
Parler, c’est créer
Écouter, c’est libérer.

Notre langue parlée est écrite parce qu’elle est de prime abord parlée.

Si le langage se simplifie, se banalise, se vulgarise, n’est-ce pas à cause de la pauvreté dans laquelle il est confiné d’une part (texto, journaux, messages publicitaires, sms, rapport, blog… etc.) mais aussi parce que l’échange direct, d’être à être, existe de moins en moins directement (téléphone, vidéo, radio imposent une interface) ?

L’interlocuteur se numérise…
Je ne veux pas spécialement évoquer l’académisme du verbe bien formé, existant ici ou là et qui cherche à cultiver l’écrit, ni de sa gloire littéraire, existant ailleurs et que certains essaient tout de même de prolonger, non, je veux parler de sa source, la parole, ce qui est issue de la voix :

« je parle » !

Quand je dis « je parle » je ne veux pas dire papoter. On peut dire (étymologie?) un texte pour son sens ou pour sa poésie. Dans ce second cas, les mots sont mis en avant pour leur musicalité : la locution devient un art où le mot pèse par son son, dans le premier cas on pourra utiliser le verbe pour asseoir la profondeur, la perspicacité, l’intensité, la révélation de la parole écrite. Cette dernière est dépouillée, nue, rapportée à des squelettes de mots bien commodes il est vrai ; mais ces squelettes on peut sentir dans le lecture silencieuse qu’ils sont éveillables, vivifiables, habitables

Tout ce qui n’est pas écrit dans ce qu’on lit, on le rajoute dès qu’on commence à entrer dans la fluidité de la parole, mais on n’est pas forcément capable de faire sortir la chose parce que au-delà de l’intention il y a la maîtrise de l’outil de vocalisation et la bonne santé générale du corps.

Donner forme au langage voilà encore une chose typiquement humaine. On peut dire de mille façon « La pluie a mouillé la terre. ». Il n’y en a qu’une seule pour l’écrire et si en tant qu’auteur on veut faire sentir, on veut donner un sens au-delà de l’acte décrit, il faut encore des mots :

« La pluie a mouillé la terre, constata-t-on avec bonheur. »
« La pluie a mouillé la terre, dit la femme en humant l’air.»
« La pluie a mouillé la terre, se fâcha l’homme. »

L’art de dire un texte écrit sans indication scénique, comme c’est le cas de la poésie, implique de trouver le sens de ce que l’auteur a synthétisé, ou d’y mettre ce que soit même on ressent à partir de ce qui est écrit ici, ou de ce qui habille cet écrit avant ou après. On peut aussi jouer sur les sonorités pour élargir le sens (rap) ou le coller sur de la musique qui se comportera comme une porteuse (slam).

Le néologisme pourra scintiller d’une évidence naturelle ou le sens se cacher derrière la musique des mots entre eux. Les mots  en rencontrant l’être qui les lit vont vivre et s’auréoler de sens, la voix devra faire le reste si l’on veut partager ou, simplement, pour soi-même, les entendre résonner.

 

La mer vague,
Elle caresse l’azur
Qui la couvre de soie.
La mer bruite,
Elle écoute les nues
Qui l’abreuvent d’ondées.
La mer fleurit
Au vent qui passe
Et ourle ses lèvres de blanc.

La mer se fâche
Sous les vents qui la froissent.
La mer sourit
À la joie des enfants
Au bonheur des jeunes
À la paix dans le cœur des plus âgés.

Mais où se cultive la parole, l’art de la parole, l’art de dire, de former la parole dans l’air ?

Même le théâtre semble l’oublier de plus en plus ; la radio, n’en parlons pas, c’est d’ailleurs du son et non de la voix ; et la poésie créatrice, la seule sans doute propre à ouvrir des voies, (étymologie voix et voie) devient souvent insipide, informe, ressemblant toujours plus à des cris qu’à des vocables, empilant des mots sans équilibre sonore, sans musique, ou cérébrale en tant que moyen pour le discours engagé dans les meilleurs des cas, et dans les pires, laissant entendre qu’un comptage de pied ou l’exposition acrobatique de rimes forcées (pardon à ceux qui cultive le verbe et aux poètes qui font des efforts).

Si le langage articulé se perd, la langue écrite se stérilisera, elle ne trouve plus son fondement.

Or la langue parlée va là où nous la portons ; elle n’est pas innée, ce ne serait alors qu’un cri aux multiples variations, elle n’est pas installée par défaut…

[Je lis assez bien l’anglais, disons que je m’en sors même bien dans ma tête où je peux entendre la bonne prononciation, mais de là à façonner l’air pour que l’anglophone me comprenne il y a un énorme ravin que je n’ose jamais franchir…]

Et l’école,où la parole devrait être

  • mise en scène pour son art,
  • cultivée ne serait-ce que pour son aspect primordial dans le rapport social,
  • mise au plus haut dans la relation de je à tu ou vous,

l’école ne fait rien, ou si peu… Où sont les enseignants qui prennent le temps de « cultiver » la parole, l’oralité ? [Il y en a, j’en connais plein, mais ils agissent dans un cercle très restreint.]

Heureusement l’être humain n’est pas que le fruit de ce que l’on façonne à partir de lui, il a sa part si tant est qu’il ne soit pas étouffé par une  »formation » drastique. S’il a reçu un goût de dire, de s’exprimer, il cultivera le langage sans s’être laissé broyer. Mais écoutons les lectures de poèmes dans les vidéos nombreuses qui trainent sur la toile ; même si ce n’est que du bruit numérique on voit rarement des lecteurs qui offrent une poésie à savourer des oreilles [titre d’une prestation que j’ai donnée].

Pour saisir toute l’importance du mot et sa différence avec la parole, il faut observer un mime (ici le mime Marceau  »le petit café parisien »)

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Toute la gestuelle et son art permet de comprendre le sens de la pantomime mais on voit que la parole manque-là rendant l’expression mimée incomplète. On voit l’image, on sait la traduire en mot, et on va mettre des mots dans la bouche du serveur et celle du client mais rien n’exprime ces mots. En négatif, si l’on avait les mots mais pas les gestes il faudrait soutenir le dialogue par de la description narrative de ce qui ne s’entend pas.

L’excellence du mime nous mènera jusqu’à presque entendre intérieurement des mots que nous formerons pour les coller à l’image, ils pourront même traduire les sentiments du locuteur silencieux mais la communauté partageant l’image ne partagera pas les sons, l’image sonore ne sera pas commune, seulement individuelle et virtuelle…

Dans un autre ordre d’idée, l’âme des peuples passe un peu par la culture mais cette dernière relève du passé qui se construit, sorte de formé conclusif, mais surtout l’âme des peuples est portée par la langue parlée, ce qui existe dans l’instant, le formé instantané qui s’exprime et évolue au fil du continuel présent.

Il y a encore ce qui passe dans la culture du chant traditionnel ou non qui cultive alors les bases et surtout la richesse des mots non intellectualisés mais proches du sentiment.

La langue est portée par son élan plus que la forme, son geste plus que l’architecture, la voix qui la donne au monde plus que la syntaxe, enfin il me semble… Et il semble même plus facile de mieux entrer dans l’accent avec le chant, mais on perd là une grande part de l’intonation pour respecter d’autres critères de la voix.

Le chant de la langue en dit plus long sur le peuple qui parle que n’importe quel guide touristique, mais il est plus aisé de lire le second que de décrypter le premier… car le guide est descriptif (généralement dans la langue la plus proche de celle du lecteur) et la langue qui est exprimée va exiger un effort supplémentaire. Le guide est figé, assis, inconsistant mais pratique (on peut prendre le temps de comprendre) ; le langage est volubile, impalpable (pas de photos pour accompagner mais une image non pensée, non fixée, une image en perpétuel mouvement), et demande l’attention instantané de tout l’être de l’auditeur.

Chez certains peuples le même mot  »langue » est utilisé pour décrire organe et expression, ce n’est pas pour rien… (lengua en espagnol, lingua en italien, limba en roumain, Язык  en russe, etc.) et ailleurs c’est autre chose mais ce n’est pas non plus pour rien (« Zunge / Sprache » en allemand, « Tongue / Language » en anglais, « língua, idioma » en portugais, etc.) [merci Reverso…].

Belle journée à vous, et au plaisir du bien parlé.

 

Des pistes à suivre :

Pour une approche totalement scientifique de la voix : Les formes aériennes des sons du langage (thèse de Serge Maintier)

Conservatoire contemporain de Littérature Orale : http://www.clio.org/tag/voix/

Le geste montrant le son, l’eurythmie  :

http://atelierduverbe.jimdo.com/video-eurythmie-h-qui-rit/
Et indépendamment de la parole (ici c’est un résumé)

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Par Patrick ROUSSEL

Chercheur goethéen en biologie et "physique du Vivant" et bien d'autres choses comme enseignant, acteur ou potentiellement conseiller en écologie (formé)

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