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Le double courant du temps (II)

Suite de Le double courant du temps (I)

Le double courant du temps

Il nous faut cheminer vers ses arrières-plans qui nous tirent de l’avant… L’histoire s’écrit parce qu’elle s’inscrit, et comment pourrait-elle s’inscrire si elle nous portait vers le futur, c’est-à-dire si l’humanité n’avait pas une quête disons « supérieure », une ambition au-delà des faits concrets, des faits réalisés qui nous font croire à la réalité.

Le futur ne s’invente pas : il se concrétise dans le présent. Est-il inconcevable ?

Notre seule possibilité est d’être à l’écoute attentive dans nos actes ou dans les faits que nous étudions pour pressentir quelle direction nous est indiquée par un au-delà. Voyons cela.

Le futur qui par définition n’est pas réalisé n’est pas une réalité. Le futur dans le pire des cas reste une hypothèse, et dans le meilleur, c’est une ouverture. Cette ouverture du Réel sur un Espace-Temps [*] non encore devenu réalité ne peut se concevoir au sens commun du terme, c’est-à-dire sous forme de pensée représentative ou conceptuelle.

Autrement dit le but (la conséquence de nos actes) n’est pas formelle. Même l’imagination ne pourra mettre en évidence le futur que par allusion à des formes connues (ne serait-ce qu’un minimum). De là par exemple l’aspect des prophéties ou des perspectives astrologiques, que ces aspects soient réalisables ou non : il suffit d’une formulation erronée sur un pressentiment réel pour que la chose réalisée ne corresponde pas à la chose envisagée.

Pourquoi ne pas pouvoir se représenter le futur ?… Mais simplement parce qu’il n’est pas déterminé, il relève de nos choix d’une part, et d’autre part de ce qu’il serait judicieux d’entreprendre pour le réaliser le plus justement possible en construisant le présent qui se fixe en passé.

Si j’évoque nos choix et ce qu’il serait judicieux d’entreprendre c’est parce que l’un et l’autre peuvent s’exclure ne serait-ce que par l’impossibilité de poser tous les choix possibles puisque leurs conséquences sont encore dans l’avenir et que nos choix ne peuvent dépendre que de l’expérience vécue… En gros on ne peut pas toujours TOUT envisager :

  • nos choix : ils dépendent largement de la conséquence de nos actes, posés en un certain présent, présent dont les traces s’ancrent sous forme de passé (matériellement ou pas)
  • ce qu’il serait judicieux d’entreprendre : c’est-à-dire ce qui ne ferait pas partie obligatoirement de choix conscientisés, mais d’une écoute intuitive plus ou moins diaphane, ce qui vient d’un ailleurs pour lequel nous pouvons avoir une sensibilité qui va nous faire œuvrer, bouger, changer d’idée, etc. ce qu’on appelle aussi le hasard, mais un hasard qui oriente radicalement la vie et peut aller jusqu’à ne pas être compris de l’entourage proche.

Nous devons être à l’écoute déjà de nous-mêmes comme si moi attendait une ouverture de notre part : l’ouverture nécessaire à un inconnu, un inconnu déterminé mais pas déterministe, c’est à nous d’aller vers ou pas, consciemment ou pas…

Cet inconnu n’est pas dans le prolongement de la ligne du temps, il n’est pas au-delà du présent, ce serait vain de le chercher ici. Il n’est pas dans le prolongement car alors cela serait simplement du déterminisme. Or, je construis mon avenir comme l’humanité construit le sien : nous ne sommes pas des moutons, rien ne nous oblige, ou ne devrait nous obliger, à aller là où on n’a pas à aller, à devenir ce qu’on n’a pas à devenir !

Pour les amoureux des mathématiques, et les autres…, il convient de penser plutôt à une autre ligne du temps en permanence nous sollicitant, une ligne perpendiculaire ou moins particulièrement non alignée sur celle du temps de nos montres et autres pendules. Est-elle longue ou pas ? Bornée ou pas ? Est-elle seulement droite ?

Je n’en sais rien, elle n’est pas du ressort d’une géométrie mathématique quelconque, elle représente un temps qui appartient simplement à notre dimension supérieure, pas à notre espace-temps usuel partagé avec le conjoint, le voisin, voire l’inconnu résidant aux antipodes…, le temps usuel lui-même n’est pas une ligne mais plutôt un flux au sein de lui-même tout comme le second courant.

Au mieux, selon l’image que je me fais de cette  »ligne » s’il en faut une, c’est plutôt celle d’entonnoir comme la part aérienne d’un vortex comme on peut le voir dans l’eau. Évidemment, l’image choisie (adaptée ou non d’ailleurs) implique une dimension purement spatiale… et pour saisir le temps il faut en passer par le mouvement. Au point de fermeture se concrétise le présent. Le passé est un temps qui n’existe plus mais le futur est un temps qui devient et embrasse tout un monde de possibles (cette vidéo – en allemand – permet de visualiser un vortex).

Ce second courant du temps nous sollicite alors que le premier nous porte et dessine notre vie. Le premier ressort du vivant commun à la nature macrocosmique, il sera le tronc commun de l’histoire écrite, l’axe collecteur du second ; ce dernier est plus personnel même si un troisième courant vient éventuellement pour bousculer l’humanité, lui offrir l’opportunité de saisir les impulsions qu’il porte quant au devenir commun.

On lira avec intérêt les expériences de Benjamin LIBET à partir de cet article par exemple qui soulève la question du libre arbitre (mais l’auteur de l’article considère apparemment le temps comme rectiligne et de fait dans ce cas on se trouve mis devant la question du prédéterminisme à travers ces expérience de LIBET…).

LIBET détermine dans son expérience que la décision conscience d’agir est devancée par une mobilisation antérieure de l’activité cérébrale (notre corps sait avant notre conscience).

LIBET a expérimenté cela en 1983 et son travail fut l’objet de multiples critiques. Il a recommencé en 2008 avec des outils plus performants et au lieu de montrer qu’il avait commis un erreur les expériences nouvelles ont poussée les résultats à nous étonner encore plus. Je cite l’article en référence (le sujet dispose de deux boutons sur lequel il peut décider quand il veut d’appuyer alléatoirement)  :

plusieurs secondes avant que vous soyez conscient de choisir, votre cerveau a déjà décidé entre droite et gauche, et l’IRM peut révéler le côté qui sera choisi !

Évidemment c’est troublant ! Pour ma part, je ne dirais pas la chose ainsi. Le cerveau n’a rien choisi… car ce cerveau n’est pas un lieu de choix, il est un outil a disposition d’un être, un ‘outil’ de relation de centralisation, entre le corps et l’être, comme l’œil, le cœur ou le petit orteil…

[Aparté (lisible plus tard si on ne veut pas trop s’égarer dans le fil – du temps…- de cet article) :
Le cerveau est un tas de cellules dont la complexité de l’arrangement (par rapport aux autres organes) dépend du travail non à faire mais qu’il centralise en terme de tout l’aspect physicochimique qui saisit le corps soit vers l’action que l’être veut réaliser, soit à partir de ce qui agit sur ce corps lui-même (contraintes physique), soit sur l’état général du corps en permanence sollicité par des processus internes (santé p.e.).
Dans une part moins physique il sert probablement d’accès rapide à la mémoire de l’être.

L’œil n’a de fonction que physique, c’est l’organe idéal à comparer avec un outil genre « chambre noire ». Il est troublant de noter que l’œil se forme à l’obscurité pour travailler ensuite avec la clarté et s’oublier dans l’obscurité du sommeil…
Le cœur est sans doute bien plus complexe que le cerveau, mais pas dans la masse de viande qu’on connaît de lui et nous fait faire l’analogie désastreuse avec une pompe. Même le savant le plus performant en terme d’activité cérébrale ne met pas sa main sur sa tête quand il est ému, et ne se montre encore moins lui-même en pointant son index sur son front pour dire « qui ? moi ?… ».
Le petit orteil… sans doute ceux qui l’ont perdu peuvent-ils en parler… Sa fonction physique semble dérisoire, une fonction psychique ne donne pas l’impression de se manifester… mais peut-être qu’en tant que cinquième extrémité, opposée à celle du pouce extraordinairement physique et volontaire, il possède un rôle que nos machines aveugles à autre chose que le matériel sont incapables de nous montrer… et que notre ressenti garde dans l’ombre de notre conscience.]

Dans l’optique d’un temps type axial (ligne du temps) où l’on peut préjuger de l’instant à venir, nous voilà priver de tout libre-arbitre…

Mais si l’on tient compte du second courant du temps, notre libre-arbitre n’est pas entaché… : à nous d’entendre, de percevoir, de pressentir, de suivre ou pas l’impulsion disons latérale capable de modifier la suite de nos actes, ou d’observer, une fois l’acte réalisé, son influence sur le cours de notre vie.

Et tout est là : ce qui court c’est notre vie, pas le temps. Ce dernier existe dans l’instant où il prend réalité avec un potentiel dans le futur et une suite continue d’instants fixés, suite bloquée dans la matière peut-être : une vitre brisée l’est pour l’éternité même si elle a été remplacée, qu’elle-même est partie au recyclage pour un potentiel ré-usage futur… [certains actes laissent des traces indélébiles, d’autres sont vite effacés du Réel, ils ne font pas moins partie de l’histoire qu’ils aient ou pas modifié le monde physique…].

Le message de Libet est là : quelque chose vient vers nous (donc du dehors, sans doute pas corporellement parlant !?) avant que notre part conscience puisse s’en saisir, et ce qui vient vers nous n’est pas du domaine de la pensée mais de l’action, la mise en œuvre de nos forces.

Dans le prochain billet : un exemple historique et un poème…


NOTE

* Espace-Temps : bien que ce terme soit relativement défini par la mécanique quantique [réf wikipédia] en tant que continuum invariant (ce qui n’est pas le cas dès qu’on se place sur un référentiel donné) je conserve l’appellation pour définir cet aspect du Réel de la manière suivante :

L’espace, dans sa matérialité, est l’apparence du temps présent, c’est une image fixe.
L’image est spatiale ; et ce qui la fixe, est l’instant, ce dont nous pouvons avoir conscience par l’intermédiaire de notre perception.

Le temps est donc un principe au-delà du principe espace, il est aussi beaucoup plus complexe car le temps ne peut être pensé de façon linéaire….

C’est dans le temps que se déploie le mouvement à travers l’espace.

Image wiki Débitmètre à effet vortex

La Relativité semble avoir compris qu’il faut un représentant du temps lié à la mobilité dans l’espace (mais l’exprime-t-elle en ce sens ?…). Elle ajoute aux 3 directions de l’espace x, y et z, la quatrième dimension sous une forme encore purement spatiale… la grandeur ct (c : célérité de la lumière, et t : l’instant)  comme s’il s’agissait seulement d’une quatrième possibilité de perpendicularité axiale ; c’est un point de vue… Cette grandeur ct est celle qui permet la non inertie statique des systèmes (interprétation totalement libre de ma part).

Ce faisant, la grandeur ct introduit l’idée de vitesse mais rapportée à une idée de longueur elle court-circuite ainsi l’idée de mouvement portant celle de vitesse… (voir l’article sur l’humain et plus particulièrement le volet N°III). ct est comme x, y ou z, une simple fonction affine…

Je définis donc l’Espace-Temps comme ce qui porte le mouvement, ce qui lui permet d’exister et sans lequel le monde serait inerte.
[]

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Par Patrick ROUSSEL

Chercheur goethéen en biologie et "physique du Vivant" et bien d'autres choses comme enseignant, acteur ou potentiellement conseiller en écologie (formé)

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