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« Penser » la nature

Article en relecture mais livré aux réflexions : vos commentaires sont les bienvenus.

Préambule

Posons d’emblée la réflexion qui va solliciter notre attention :

Est-il vraiment possible de penser la nature* ?

* Nature = milieu à la fois physique et vivant.

Ceux qui parcourt ce blog ont déjà une part de la réponse à travers tout ce qui a déjà été dit : Non, on ne peut pas penser la nature ! C’est un peu court, dirons les plus spécialistes qui passent leur temps à l’étudier sous toutes ses coutures et avec des résultats et des conclusions qui tiennent la route. Et je les en félicite ici grandement. Leur travail est souvent remarquable, et il l’est d’autant plus qu’ils se contente de montrer des phénomènes, de les commenter dans leur aspects les plus divers. En général, je m’arrête à ce niveau et dès que je sens pointer des éléments qui ne concerne qu’une part étroite de la nature, alors je ne lis plus…

Aussi je reformule ma question : jusqu’où est il possible de penser la nature ?

Quand les pensées personnelles ou académiques viennent se mêler à l’observation, la description c’est un peu comme si on accolait deux mondes :

  1. le monde perçu dans sa part à laquelle nous sommes sensibles, nous ou nos instruments, c’est-à-dire la part sensible du monde qui se dévoile à nous
  2. et le monde de notre conscience par laquelle nous nous faisons et nous fondons nos représentation, nos interprétations, les extensions que nous greffons sur le monde perçu avec des logiques évidentes.

Entre 1 et 2 il y a un hiatus, un espace vide où la chose (externe) perçue devient notre propriété imagée (interne). Et là presque tout est possible du plus réaliste au plus fantaisiste. La chose consistante, le mur sur lequel on bute par exemple, devient inconsistante, il y bien plus de vide que de plein dans un mur ! Alors pourquoi ne passe-t-on pas à travers en louvoyant ?… En général, c’est dans le cas N°2 qu’on réfléchit, et cela est bien naturel car nous n’expérimentons pas forcément le cas N°1.

Ma conscience est interne, et l’objet de ma connaissance doit être externe pour que j’ai une position de recul, de possibilité d’observation. Je peux penser ma conscience par exemple… mais ce faisant avec le cheminement scientifique moderne exigé je dois me couper de cette expérience de mon propre penser, de ma propre activité pensante. Alors je vais l’observer chez un autre à travers ce que des machines sont capables de me dire, des machines que j’ai construite sur la base de mes interprétations jusqu’alors du monde.

Comment donc faire pour s’ouvrir à l’intuition, à la nouveauté, à ce qui se montre mais n’entre pas dans le cadre de la machine.

Le cerveau ne pense pas ! Heureusement… Je pense et lui me sert de support, il n’est « peut-être » que ma paillasse de laboratoire, et ce que j’y dépose n’est que ce que j’ai choisi d’y poser. Rien en lui ne représenter le monde extérieur et ceci même encore moins qu’un hologramme : le cerveau n’a rien pour faire des images ! Et pourtant nous pensons en images et cela grâce à lui.

Aussi, si je veux penser la nature, je dois m’y lier et l’expérimenter, la faire mienne en même temps que je m’en retire un tout petit peu, juste assez pour pouvoir l’observer vivre en moi tout en continuant à vivre avec elle. D’une part générer un regard globale et de l’autre un regard posé qui doivent cohabiter.

Je me démarque en croisant…

Titre sibyllin, j’en conviens… mais il suffit de faire le geste de protection par rapport à une agression pour comprendre : en général, on croise les mains (tournées vers l’extérieure : pronation)  à hauteur des poignets, ce qui induit un double croisement…

J’ai personnellement été très fâché de ce qu’on raconte partout à qui veut l’entendre que l’œil droite est connecté au centre visuel du lobe gauche et l’œil gauche au centre visuel du lobe droit. Ce n’est pas vrai ou alors c’est vrai mais seulement de manière partielle : cela ne concerne que la partie central de l’œil, l’espace de focalisation, l’endroit où l’on perçoit l’apparence de la chose dans ces détails fins… Mais le reste, la part périphérique de la vision, l’ambiance générale de l’environnement de la chose observé, eh bien, celle-ci ne croise pas : l’œil droit s’adresse directement au lobe droit et le gauche au lobe gauche…

Une image du site guide-vue.fr (ATTENTION : ce croquis estt donné pour les voie visuelles

La partie intéressante est au niveau du chiasma optique :

Détail sur l'image précédente.
Détail de l’image précédente.

ON le sait, bien sûr, mais qui en parle de cette subtilité ? Et la situation du cortex visuel ? Par ailleurs, le nerf optique est décrit avec 1,2 million d’axones pour 110 millions de photorécepteurs au niveau de la rétine ; un seul neurone intègre en moyenne l’activité de près de 100 photorécepteurs, moins pour la vision centrale qui fixe la précision du détail et plus pour la vision périphérique qui dégage une impression globale.

Notons, comme pour la pensée plus haut, que le cerveau ne voit rien ! C’est moi qui voit et jusqu’à présent je suis dans ma globalité, pas non plus dans mon cerveau…. Je vous invite à faire le geste « Qui ? Moi ? » et vous comprendrez immédiatement la chose.

Le croisement n’est pas anodin du tout, il n’est jamais anodin d’ailleurs. Observons les os de l’avant-bras des primates dans le cadre de la pronation :

Image empruntée à ittcs.files.wordpress.com et qui correspond à la réalité.

La pronation (croquis B) correspond à la prise d’un objet posé (on arrive donc par-dessus) tandis que la supination (croquis A) correspond davantage à la réception d’un objet. Dans la situation B je développe l’intention de prendre quelque chose et dans la situation mon intention et de recevoir. Nous ne sommes pas dans la même disposition intérieure par exemple selon qu’on donne par-dessus (JE (actif) te donne, tu (passif) reçois) ou par-dessous (je (passif) TE (actif) laisse prendre : tu ne reçois pas…).

Les yeux font les deux états en même temps : la partie centre perçoit et prend tandis que la partie périphérique reçoit malgré elle car je ne fais que diriger la partie centre sur l’objet de mon observation. Ma pensée s’exerce généralement sur la partie centrale, ce à quoi je me connecte, sur quoi je me concentre, et la périphérie demeure dans une part inconsciente de moi.

Quand vous marchez de nuit en forêt… ou dans tout lieu où la pénombre et forte et que votre vision centrale devient inopérante malgré sa sensibilité dite supérieure, vous pouvez gigoter vos yeux (sans tourner la tête) l’impression paysagère demeure quasiment fixe. C’est amusant…

Alors comment penser la nature avec un cerveau qui ne pense pas, qui ne voit rien, enfin pas plus qu’il ne parle ou écoute, sent, ressent, perçoit. On ne peut penser que sur l’apparence que prend la nature dans le cadre de nos perceptions, pour tout le reste on se fait des idées qui mènent à des théories, des façon de « voir »… Ceci dit on peut s’ouvrir à la nature de la nature comme dans ce qui se passe avec nos yeux et nos bras, on peut s’ouvrir (supination) et recevoir à travers un regard élargi, périphérique un aspect caché de la nature qui ne dépend pas, ou peu de ce qu’on observe.

Accueillir la nature

C’est un regard méditatif qui nous amène à nous satisfaire de l’expérience et dans l’humilité de ne pas chercher une explication. Avec le regard central nous décortiquons ce que nous observons, avec le regard périphérique nous le vivons parce que nous pouvons nous lier ici à ce qui vit dehors : la pensée qui s’appuie sur le cerveau sera celle qui nous permettra de partager, de décrire, et l’intuition qui s’appuie sur l’accueil dans nos perceptions (supination, vision périphérique) engendre l’acte juste vis à vis de la relation que nous établissons avec le sujet observé (avec tout ce que cela implique en terme de respect).

On peut penser la chute liée à la gravité, la nature même de l’électricité et d’autres choses qu’on peut éprouver directement et « physiquement » : Abandonnons-nous par exemple à la pesanteur en nous effondrant sur nos pieds avant de nous relever en déroulant la colonne vertébrale. Tout ce qui est à relever exige de la force. Observons comment la tête pèse jusqu’à ce qu’elle soit dans sa position de veille. Éprouvons cela et observons ce qui se produit en nous quand on s’aperçoit qu’une fois en place elle ne pèse plus…

Pensons ensuite à la vache (ou n’importe quel autre animal à grosse tête portée par un cou. Tout à coup on ne peut plus penser même la gravitation de la même façon qu’avant.

On ne la remet pas en question mais on s’aperçoit qu’elle doit être encadrée dans des limites strictes… et entre autre que ces limites qu’on peut lui donner excluent de fait le vivant. Autre exemple : notre cerveau (encore lui !) à une masse mais il ne pèse rien en tant que masse cérébrale par rapport à nous ; il flotte dans le liquide rachidien comme nous dans l’eau. La poussée d’Archimède le désolidarise de la gravitation et cette poussée n’est pas une antigravité, elle est liée au rapport des densités entre deux choses pesantes : le poids de l’objet peut disparaître ou être seulement amoindri ; lors de la flottaison il n’est plus ressenti dans ce qui ne sort pas du contexte. La baleine qui saute éprouve sa masse, enfin !

On pourrait continuer longtemps sur le sujet et l’on verrait toujours qu’une part du Réel échappe à l’exercice de penser. On ne peut penser la nature que sous une forme très limitée et adaptée à une mise en condition où elle est décorporée. L’humain est capable de se saisir comme de s’ouvrir, il peut connaître mais il doit savoir que c’est au risque de réduire. Quant à tout vouloir rapporter à des mathématiques… c’est une autre histoire !

 

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Par Patrick ROUSSEL

Chercheur goethéen en biologie et "physique du Vivant" et bien d'autres choses comme enseignant, acteur ou potentiellement conseiller en écologie (formé)

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